Commençons par une citation qui ouvre sur la fonction et le travaille du psy : "Il est bien certain que notre justification comme notre devoir est d'améliorer la position du sujet". Cela guide la pratique clinique du psy. Qu'est ce que c'est que d'améliorer la position du patient ? Cela implique éventuellement qu'on puisse tendre vers la guérison. C'est à dire que la psychanalyse appliquée à la psychothérapie améliore certainement la position du patient : elle calme, tempère, adoucit, apaise. Il y a donc des effets thérapeutiques au bout de quelques séances comme par exemple chez des personnes qui souffres d'angoisses. Et puis améliorer la position du patient cela implique aussi autres choses que la guérison, comme améliorer sa position dans sa vie sentimentale ou professionnelle. Autrement dit, le psychologue, psychanalyste est donc concerné par le symptôme, l'angoisse ou l'inhibition du patient. Et c'est a partir des effets analytiques, que les effets thérapeutiques peuvent en retour être envisagés. Ce qui est thérapeutique en psychanalyse, c'est le désir. Le désir est l'essence de l'homme disait Spinoza. En un sens, le désir, c'est la santé.

La psychanalyse est avant tout une expérience de la parole. Elle repose sur une règle fondamentale, celle de l’association libre. Cette règle invite l’analysant à énoncer tout ce qui lui passe par la tête, tout ce qui lui vient à l’esprit. Le travail de l’association libre est le pari que cette parole pourra faire émerger un dire qui fera événement, soit un effet sur le patient. Un effet de surprise, de trouvaille. Elle produit donc des effets thérapeutiques, des mutations subjectives (disparition du symptôme, d'angoisse). Faire une analyse conduit a se façonner une éthique. L’éthique de la psychanalyse est une éthique du désir et de ce fait elle s’extirpe de tout but adaptatif, que ce soit d'un point de vue d'une conception biologique du normal ou de la santé, ni d’une conception sociale du normal. Cette éthique que se construit le patient vise à un traitement original et inventif de son désir par la libre association.

L’association libre est le langage de l’inconscient. Avec l’inconscient « je » est « un autre », je ne suis pas ce que je suis, les choses ne sont pas ce qu’elles sont et les mots ne disent pas ce qu’ils disent. Qu’est-ce donc que le langage inconscient ? C’est un langage où les sons qui composent les mots sont plus importants, plus décisifs, plus riches plus constitutifs que ce que les mots signifient, que le sens dont ils sont conventionnellement porteurs. Le langage inconscient n’a aucun rapport avec le sens des mots mais seulement avec les sons dont ils sont composés. L’inconscient se constitue donc de mots, de phrases, de pensées, de signifiant (image acoustique du mot) et de désirs refoulés. C’est une entreprise insaisissable de décomposition poétique de la langue. L'expérience de la parole en psychanalyse, mais aussi en psychothérapie, nous apprends que c'est le signifiant (pour faire simple le "mot", l'image acoustique du mot) qui est prédominant sur le signifié (le sens, la signification, l'idée de la chose, le concept). Mais le signifiant ne se réduit pas un mot ou une phrase, des souvenirs. Le signifiant un élément discret, isolable et combinable à d'autres éléments eux aussi discret et isolable susceptibles de prendre sens pour la personne. Ça veut dire qu’un signifiant peut très bien être une image, une odeur, un brut, un geste.

Une personne fait ou rentre en analyse parce qu’elle a une souffrance, un symptôme, des angoisses, des inhibitions qui s’imposent à elle, aussi bien dans son corps que dans sa pensée, et qu’elle ne comprend pas. Et ces angoisses, inhibitions ou symptômes son affaires de jouissance (une souffrance) : que ce soit comme défense, compromis ou signal, il s’agit toujours d’un mode de jouir insu de la personne elle-même. La jouissance fixée dans le symptôme est opaque au sens, quelque chose fait énigme laissant le patient manquant d’une parole, d’une explication. La psychanalyse traite de cette part de jouissance qui déborde l'être humain. A la place du mot jouissance on pourrait dire souffrance. Si je choisi ce mot de "jouissance" c'est plus pour une question de rigueur et d'exigence théorique. Il faut entendre le mot jouissance au sens juridique : jouir d'un bien. Et ce dont l'être humain jouit, c'est d'un corps. Pour qu'il y ait un être humain, il faut un corps. Ce dont l'être humain jouit c'est de son propre corps.

Le symptôme (anorexie, infidélité etc...) du patient peut être entendu comme signifiant, qu’on va écrire ici S1. Mais un signifiant seul ne signifie rien. Il s’articule toujours avec un autre signifiant, qu’on écrit S2. On entre donc en analyse avec un S1 (l'infidélité), à la recherche d’un S2 (un ensemble de savoir). Durant l’analyse, qui repose donc sur l’association libre, des phrases entendues, des mots, des souvenirs, des formations de l’inconscient (lapsus, acte manqué, rêve etc…) surgissent, se dessinent, se désunissent, s’estompent…Un souvenir, peut perdre de sa substance, se transformer. Pourtant, dans la séance, cette parole énoncée du souvenir, peut faire événement, se faisant dire. A ce moment-là, l’analysant découvre qu’une parole entendue dans l’enfance à fait événement, marquant le corps d’une trace qui ne peut se retrouver que dans l'analyse, là où le travail du psychanalyste est de maintenir la libre association du S2 (le sens, les significations de la souffrance) pour viser la singularité du patient.

Prenons un exemple pour montrer le travail de la libre association qui se déplie en analyse. Dans le livre « le berceau des dominations, anthropologie de l’inceste » l’anthropologue Dorothée Dussy montre comment le silence opère chez les victimes d’incestes. Dès lors que l’être humain se tait c’est le corps qui parle, qui se « fait corps parlant ». Le signifiant refoulé fait retour dans le corps du patient. La cure analytique va permettre à la patiente de déchiffrer son symptôme, le sens caché.  Il s’agit dans le livre de l'anthropologue, d'une femme victime d'inceste. Cette personne a été incestée par son Frère ainée de l’âge de 7 ans à l’âge de 12 ans. Cette patiente est habituée au principe de l’association libre. Elle raconte à l'anthropologue son expérience Page 288-289 :

« Moi au niveau des accidents, c’est en quantité. Quand j’étais petite, c’était parfois très grave, mais je ne le disais pas. Par exemple, en sortie scolaire, il y avait une espèce de téléphérique en suspens avec un guidon, dans le vide, et on descendait en se tenant au guidon. Ca partait d’un arbre. Et je suis tombée sur les fesses, ça m’a fait très mal et je n’ai rien dit. Alors qu’une autre élève est tombée, elle l’a dit. Et j’ai fait de nombreuses chutes comme ça, je me suis récemment fracassé la jambe, au Maroc, et le dernier accident, c’était à vélo, j’ai traversé un feu et une voiture m’a touchée. Mais c’est pareil, je n’ai pas de souvenirs de l’accident. En randonnée, donc, j’ai fait beaucoup de chutes. » Puis elle continue l’association libre en racontant sa séance de groupe de parole « j’ai raconté que, dans le lit que je partageais avec mon frère qui m’a « incestée », avec son doigt sur sa bouche, il me faisait « chut ». Et c’est grâce à Virginie qui m’a dit après : « chut ? » et j’ai compris « chute », avec un « e ». Et il y a quelque chose que je voulais dire : c’est que j’ai eu beaucoup de tics, quand j’étais enfant, que mes sœurs m’ont rappelé plus tard que j’avais beaucoup de tics, donc c’est vraiment authentifié. Et parmi ceux-là, je faisais toujours « ch’t ! » et même à l’école ; on m’avait surnommée « la chuteuse », dans la famille. »

Dans cet exemple, on peut soulever plusieurs points intéressant.

Déjà Virginie (dans le groupe de parole) qui intervient avec la question « Chut ? ». Ici c’est la fonction de l’analyste. L’acte de l’analyste repose sur l’interprétation. Ici l’interprétation se présente sous forme de question. Elle a valeur d’interprétation puisqu’elle produit un effet sur la patiente. C’est aussi une interprétation qui porte sur l’équivoque (Chut/chute). Il s’agit de faire surgir avec le même mot, sa valeur de « j’ouï-sens ». Du verbe ouïr, soit d'entendre quelque chose de nouveau. Là, l’interprétation porte sur le sens du symptôme, sur le dire du patient. Un dire qui fait événement. Mais l’interprétation est aussi une surprise pour le sujet, qu’elle le déroute et qu’elle lui face apercevoir des angles qui lui était invisible. Par exemple un lapsus, au lieu de dire ma "femme" le patient dit ma "mère". La surprise c’est à la fois une prise, c’est-à-dire que le patient attrape quelque chose et à la fois la surprise est un affect. Un affect qui renvoie à un effet dans le corps. La question de Virginie a eu pour fonction de surprendre précisément Louise afin de produire un certain effet de résonance dans ce qu’elle dit. Cela donne un sens nouveau à ce que dit du coup la patiente.

Le mot « Chut » a effet d’affect dans le corps. Les affects viennent perturber le corps. Et quand ses effets sont durables, cela devient des traces. Les traces sont laissées sur le corps de la patiente par l’événement traumatique. Le trauma est cet évènement qui produit des traces d’affect. Au-delà de l’inceste, c’est l’incidence de la langue (chut ! du frère) sur le corps. Donc il y a des traces que le signifiant a laissés sur ce corps et qu’il s’agit de nommer. Mais aussi de repérer la façon dont le corps a été affecté par le signifiant « chut » qui a imprimé un mode de jouir singulier. Il s’agit de nommer ce qui a fait trauma. D'autre part, il y a la jouissance qui impacte cette patiente (dans le livre). On peut voir comment la jouissance, suite à l'inceste, traverse le corps de cet enfant qui lui apparait d’abord comme hors sens. C'est à dire que cette jouissance fait trou dans la trame de ses significations et perfore le symbolique (le langage, les représentations des choses).

Dans cet extrait on voit comment Louise produit des signifiants (des souvenirs, des expressions, des mots : S1-S2-S3) issue de son histoire personnelle, de sa vie intime et de ses expériences : Chute, Chut, ch’t, chuteuse. Ici on retrouve le mécanisme linguistique de la métonymie (une figure de style) qui permet d’obtenir un effet de signification limité, du fait de la contiguïté d’un signifiant avec un autre. On peut traduire ceci par la formule suivante :  

      

Le symptôme est un savoir inconscient, S2 (c'est a dire le travail de la parole de la patiente). C'est un savoir sur la singularité, sur l'être de la personne. Le S2, qui donnerait une signification est refoulé, la patiente ne l’a pas à disposition. C’est la libre association qui permet la lever du refoulement et de faire advenir ce signifiant/parole, soit ce dire de la patiente. Les deux S1 et S2 permettent d’obtenir un effet de signification seulement à la condition qu’ils soient articulés.

 

Autre exemple :

L’expérience de la psychanalyse, montre comment le symptôme à aussi une structure de métaphore (une figure de style). Dans son article, D. Noel, illustre un cas clinique qui rend compte du travail analytique et de ses effets thérapeutique. C’est une jeune fille en analyse depuis 3 ans. Elle consulte pour des crises d’angoisses avec des douleurs au ventre et vomissement. L’angoisse va se déplacer sur une phobie. Il s’avère que la phobie va être pour la patiente un premier support à la libre association et à quelques significations qu'elle en donne. Lors d’une séance elle évoque sa répugnance à marcher en ville du fait de sa peur d’être interpellé par un certain type d'homme, ce qui la fait changer de trottoir. Elle mentionne aussi son dégoût pour les plumes. Quand elle voit une plume sur le trottoir, ça génère en elle « la chair de poule », et elle précise surtout les plumes de pigeon.

Lors d’une autre séance, elle raconte un rêve qui lui provoque le même frisson de dégoût : « je suis dans ma chambre avec mon copain, il m’a fait une mauvaise farce, dans mon lit, sous mes vêtements, il a caché une poule. » A partir de son rêve elle reprend le travail d’association et se déplie donc une série de signifiant : plume, pigeon, poule. Un quatrième est là, mais qu’elle ne le dit pas clairement, de façon explicite. C’est le signifiant « putain ». Ce mot il peut se déduire du rêve, du dégoût associé à l’énoncé « j’ai la chair de poule » et aussi de sa peur d’être interpellé par un certain type d’homme. Le signifiant putain est aussi associé au signifiant trottoir et à un souvenir traumatique lors d’un voyage scolaire à l’étranger. Elle raconte que lors de son voyage, elle c’était faite agressée et insultée. Elle avait 15 ans quand ça c'est produit.

Dans cette exemple clinique, on peut voir que le travail de la libre association fait remonter des souvenirs, des traumatismes, des mots qui ont une résonance particulière pour la personne.  On remarque qu'un signifiant/mot renvoie a plusieurs signification, ou signifiés. Le signifiant plume s’est substitué, par métonymie, aux signifiants pigeon et poule. Le mot/signifiant poule, lui, est une substitution métaphorique du signifiant "putain" qui est refoulé (c’est une insulte que l’homme lui avait adressé lors de son agression). Mais l’insulte subit renvoie sans doute à d’autres signifiants qui sont maintenant refoulés (à l’écart de la conscience).

La somme des signifiants en tant que chacun d’eux est lié à un affect d’angoisse. Ces signifiants (pigeon S1, poule S2, putain S3, Sn) est transposés sur la plume. Cela veut dire que, à chacun de ces signifiants porteurs d’angoisse, S1, S2, S3, est substitué un seul Signifiant Pl, le signifiant Plume.

Le signifiant plume (Spl) vient condenser sur lui, la charge d’angoisse, dont chaque élément signifiant est porteur. La barre indique le refoulé non pas l’affect (l'angoisse), mais chacune des représentations. Ces affects sont représentés par la plume, symbole ou signifiant de la peur, l'angoisse.

 

   S1 (.......S2, S3)           Plume (poule, pigeon, putain)  

            s1                          souvenir, agression, trauma

Dans la métonymie, ici le signifiant/mot plume ne passe pas sous la barre de signification. Il reste au-dessus, car le sens est assujetti au maintien de S1 (plume) en contiguïté immédiate avec S2, S3 et en étant liée avec s (le signifié) agression et insulte. 

Donc il y a des dires qui ont fait événement (insulte, agression), en ce sens qu’ils ont marqué, laissé des traces dans le corps et un dire qui se fait événement. Pour le dire d’une autre manière, le symptôme, comme lieu de jouissance, peut se définir comme « événement de corps » qui génère une certaine souffrance à traiter. Pour la psychanalyse, c’est un corps impacté par un événement de discours ou d’une parole qui prend la valeur d’un trauma (l’insulte/agression). On voit bien que les mots ne font pas que de décrire, de démontrer les choses mais les mots touchent, émeuvent, bouleversent, blessent, s’inscrivent et son inoubliables. Ces paroles touchantes, bouleversante c’est ce qui laissent traces sur le corps.

Cet événement de corps a laissé des traces chez l’analysante : des symptômes somatiques, des affects (l’angoisse), des inhibitions. Donc j'ai voulu montrer que le symptôme comporte un versant de sens, et un versant de jouissance (douleurs, souffrance, excès de plaisir). Il s'agit d'en passer par la libre association afin de traiter la jouissance contenue dans le symptôme. Autrement dit, verbaliser, mettre des mots sur ce qui cause de la souffrance. Tout en délivrant le sens et à ce qui cherche à se dire, le patient acquière un savoir sur ses propres résistances et il s’affute d’une éthique. C'est un "savoir y faire" que le patient acquière sur ce qui fait sa singularité.

Je précise que le travail du psy n'est pas de restituer de la théorie en séance ni d'utiliser un vocabulaire alambiqué ou abscons. J'ai recours à la théorie ici pour rédiger mon article. Bien souvent, en séance il y a l'humour, les rires qui se manifeste, qui s'exprime. Il s'agit aussi pour le patient de se saisir de cet espace, en séance, de parler de ses réussites, de ses projets, de se qu'il accomplit ou réalise dans sa vie.

Mon travail c'est avant d'écouter et d'améliorer la position du sujet. Le psy accueille, questionne, interroge à des moments de la séance. Il amène aussi à vous questionner sur votre situation, comportements, sur tel acte, à vous laisser surprendre par vos mots. L'écoute déjà opère sur la souffrance et donc change quelque chose au symptôme. Les patients le disent très bien "parler ça ma fait du bien". Surtout ils se rendent comptent qu'ils peuvent parler sans être juger, sans être critiquer. L'écoute du psy est une écoute qui engendre une réponse. Une réponse qui valeur d'interprétation. On peut appréhender l'interprétation comme une révélation qui lève le voile sur ce qui est impossible a dire, elle traduit ce qui ne peut se dire. Cela permet de restituer au patient à un moment donné une maitrise de son destin ou bien de ce qui lui arrive dans la vie.

En ponctuant la séance sur un mot, une phrase, une expression, ça produit un certain effet, cela donne un nouveau sens à ce que dit du coup le patient. Sa parole s'en trouve décalée, car surpris de s'entendre parler. Le patient en analyse il expérimente sa parole et ses effets. Ponctuer la séance permet que le travail de réflexion se poursuive entre la séance et la suivante. Le travail du psy n'a pas d'autre visé que d'alléger le patient de l'idéal qui l'opprime, afin de lui permettre de s'ajuster avec son mode d'existence et d'être plus confortable avec lui même. Le psy aide le patient à appréhender et à comprendre son fonctionnement. Pour finir Le travail analytique consiste à aider le patient à trouver un sens à sa vie, à modifier, à orienter sa vie au plus près de son désir et être plus libre.

 

 

Référence bibliographie pour le texte :

D. Dussy, Le berceau des domination, anthropologie de l'inceste. Editions Pocket, 2021.

D. Noël, article : le symptôme dans tous ses états. Dans figure de la psychanalyse 2010/1 (n°19).

F. De Saussure, Cours de linguistique général. Edition Payot, 2016.

J. Lacan, L'instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison depuis Freud. 1957. Dans Ecrits II, Edition Seuil.

J. Lacan, Séminaire X "l'angoisse". Edition Seuil

J. Lacan, la lettre volée. Dans Ecrits I, Edition Seuil.

J. Dör, Introduction à la lecture de Lacan, tome 1 et 2. Edition Denoël, 2002.

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