L’endométriose et traitement psychanalytique

 

Lacan « Je parle sans le savoir. Je parle avec mon corps et ceci sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je ne sais" (Séminaire XX Encore)

 

Lacan "Le réel, dirai-je, c'est le mystère du corps parlant, c'est le mystère de l'inconscient" (Séminaire XX encore)

 

Freud "La vie sexuelle de la femme adulte est encore un continent noir pour la psychologie” (La question de l'analyse profane)

 

L’endométriose occupe de par sa prévalence et ses enjeux médico-socio-économiques, une place préoccupante dans le domaine  de la  santé publique.
Si je m’intéresse à cette maladie gynécologique, c’est qu’elle « laisse planer un certain nombre d’inconnues qui en font une maladie à la fois originale, invalidante et incertaine. La médecine considère donc l’endométriose comme une pathologie singulière pour laquelle subsiste un nombre important d’incertitudes et de méconnaissances » (A. Gabard). C’est aussi le travail auprès de mes patientes qui viennent parler en séances de leurs douleurs menstruelles.

Quelle est cette maladie dont souffrent les femmes et que les médecins nomment « endométriose » ? Pourquoi certaines femmes développent-elles une endométriose ? Les psychologues et psychanalystes peuvent-ils être utiles pour une meilleure compréhension et prise en charge de l’endométriose sur le plan psychique ? En quoi la psychanalyse se spécifie-t-elle et se démarque-t-elle de la science ?

 

L’endométriose : une maladie gynécologique

L'endométriose est une maladie gynécologique, chronique, inflammatoire et hormono-dépendante assez complexe. L’endométriose se définit comme « une maladie évolutive, dans laquelle des ilôts de muqueuse utérine s’implantent en dehors de l’utérus. Les foyers d’endométriose siègent le plus souvent dans le bas-ventre (par exemple sur le péritoine, dans les ovaires, l’intestin ou la vessie). Les foyers d’endométriose sont soumis à l’influence des hormones du cycle menstruel. De même que la muqueuse utérine normale - également appelée « endomètre », s’implantent en dehors de l’utérus. Ces derniers constituent des foyers d’endométriose et se situent le plus souvent dans le bas ventre […] Comme la muqueuse utérine normale, les foyers d’endométriose réagissent de façon cyclique et signent, car ils sont sous l’influence du cycle menstruel ». L’endométriose se situe au cœur de l’appareil génital féminin. Cette maladie gynécologique ouvre donc sur les questions de la grossesse,  de la féminité et de la sexualité.

 




L’endométriose a des conséquences sur le bien-être du corps de la femme, mais aussi dans sa vie de couple et professionnelle.  Les dernières recherches montrent qu’environ 10% à 15% des femmes en âge de procréer en sont atteintes. De plus, ce qui rend le diagnostic compliqué c’est que certaines femmes atteintes d’endométriose sont asymptomatiques. Cette affection gynécologique est une des causes fréquente d’infertilité et près de la moitié des femmes infertiles en sont atteintes.

Des études cliniques rapportent qu’il y a en moyenne 7 ans d’errance diagnostique après les premiers symptômes, au prix de nombreux passages entre les mains de différents spécialistes. Si le délai est si long, c’est que les symptômes décrits pour l’endométriose peuvent évoquer d’autres maladies. Ces signes cliniques ne sont donc pas spécifiques à l’endométriose. Il y a encore une méconnaissance de cette pathologie, y compris par le corps médical. Par exemple, une étude a été réalisée pour montrer que les femmes atteintes d’endométriose ont 3 à 5 fois plus de chance de recevoir un diagnostic de syndrome de côlon irritable.

Ensuite vient l’idée fausse « qu’il est normal d’avoir mal pendant ses règles ». Ce stéréotype reste très ancré culturellement, alors qu'il n’est pas normal de souffrir durant ses règles. Cette idée s’inscrit dans l’inconscient. D'où « l’inconscient c’est le discours de l’Autre ». En effet, « sous l’effet de pression sociale et de la stigmatisation autour des règles, les femmes auraient spontanément tendance à ne pas se plaindre et à s’auto-médicaliser. Dans nos sociétés modernes, occidentales en particulier, la femme doit être l’égale de l’homme, être aussi productive que lui. Il a aussi été évoqué une plus grande fréquence d’antécédents de maltraitance dans l’enfance (abus sexuels, abus émotionnels, négligences) chez ces patientes porteuses d’une endométriose ». Au milieu du 19e siècle, les médecins évitaient même de discuter de ce sujet, le considérant comme désagréable et malheureux. L’histoire de la menstruation et sa perception médicale ont contribué à la construction de stéréotypes de ce genre et de maladies féminines qui ont affecté la compréhension et la prise en charge de l’endométriose. Abordons à présent la symptomatologies.


Les symptômes de l’endométriose

L’endométriose présente une symptomatologie assez complexe et variée. Comme indiqué plus haut, cette maladie se caractérise par le développement d’une partie de la muqueuse utérine appelée « endomètre » à l’extérieur de l’utérus, générant des lésions, une inflammation, des kystes et des adhérences dans les tissus avoisinant l’utérus. Les principaux symptômes sont des douleurs :
Dysménorrhées : douleurs en rapport avec les règles (dans le bas ventre, le bas du dos).
Dyspareunies : douleurs lors des rapports sexuels.
Dysuries : douleurs urinaires à recrudescence cataméniale.
Dyschesies et autres troubles intestinaux à recrudescence cataméniale
Douleurs pelviennes chroniques : douleurs aux ovaires, contractions utérines
Asthénie : fatigue chroniques,
Infertilité (insuffisance ovarienne, trompes atrophiées, problème de la nidation.) Les problèmes d’infertilité peuvent donc dépendre de la sévérité de la maladie. Ainsi, l’endométriose est à envisager quand un couple rencontre des difficultés au moment de concevoir un enfant.

Beaucoup de femme présentent des douleurs au niveau des foyers actifs d’endométriose. Les patientes décrivent :
Une sensation de malaise général
Des douleurs abdominales diffuses
Une sensation de pesanteur abdominale
Un manque de dynamisme
Une morosité
Une fatigue chronique
Des fluctuations de l’humeur.

En conclusion, le syndrome douloureux chronique des patientes atteintes d’endométriose est responsable d’un retentissement physique, psychique et social important.

Plusieurs théories scientifiques concernant la pathogénies de l’endométriose.
Nous allons qu’énumérer les quelques théories sans entrer dans les détails. Une bibliographie sera mise à disposition à la fin de l’article pour ceux et celles qui sont intéressés.

Une des théories concernant l’endométriose, celle de Sampson sur le reflux menstruel ou de l’implantation. Elle ne permet pas de tout expliquer puisque la menstruation rétrograde est un événement couramment décrit chez un pourcentage très élevé de femmes.

Selon une autre théorie, celle de la métaplasie cœlomique de Meyer, le mésothelium péritonéal pourrait subir une métaplasie et se transformer en tissu de type endométrial.

La théorie métastatique lymphatique et vasculaire.

La théorie de G. Leyendecker (2009) sur la contractilité excessive de l’utérus et les réponses hormonales.

Cette théorie expliquerait les rares localisations de lésions extra-pelviennes. Et la théorie des tests embryonnaires a été développée par Von Recklinghausen et Russel.

La théorie de Sampson reste aujourd’hui la plus acceptée par la communauté scientifique. Actuellement plusieurs pistes sont étudiées : du côté du système immunitaire ; la piste du développement tumoral ; la piste génétique et la piste environnementale.

 

Histoire de la maladie

 Si on retrace l’histoire de la maladie, on s’aperçoit que les premières descriptions de la maladie apparaissent dans des écrits médicaux grecs et égyptiens, datant de plusieurs siècles avant notre ère. (Nezhat et al.) Les premières références aux symptômes apparaissent sur des papyrus datant de -1855 avant JC. Le corpus hippocratique, compilation d’ouvrages médicaux rédigés par différents auteurs entre les 5e et 4e siècles avant JC, décrient plusieurs profils de maladies qui font allusion à de nombreux symptômes évocateurs de l’endométriose (ulcères utérins, adhérences, stérilité…).

Hippocrate considérait que le dysfonctionnement menstruel était une cause de maladie, que la grossesse était un remède possible, et que la douleur et la stérilité étaient des conséquences potentielles si la femme n’était pas traitée. Durant le Moyen Age et la Renaissance, ces symptômes ont été associés à des causes surnaturelles, notamment à la possession démoniaque et à l’hystérie, appelée aussi « folie de l’utérus » ou encore « fureur de l’utérus ». Les patientes hystériques étaient internées en psychiatrie.

C’est à partir du 19e siècle que la médecine moderne commence à étudier les symptômes de l’endométriose en tant que maladie organique.

Le terme médical apparaît au début du 20e siècle, en 1927. Il est proposé par le chirurgien /gynécologue J. Sampson avec son hypothèse du reflux menstruel ou de l’implantation, selon laquelle les tissus de l’endomètre peuvent se déplacer en dehors de l’utérus et provoquer des lésions et des inflammations. C’est donc à ce moment-là que la médecine propose le terme ou le signifiant « endométriose ».

Ce n’est sans doute pas par hasard si ce terme médical émerge au 20 siècle. Ce siècle est connu comme le siècle de la science médicale et des grandes découvertes au niveau de l’anatomie, de l’organisme humaine. La science est en pleine expansion. Les scientifiques se passionnent pour le corps humain et ses mystères. Les médecins tentent alors d’explorer le corps par les techniques de la science. Le corps est donc le signifiant maitre qui a organisé le discours de la science ainsi que les recherches médicales de l’époque. Intéressons-nous à la science moderne, notamment à son discours et ses effets sur la subjectivité.

 

La science moderne

Le philosophe et historien des sciences, A. Koyré considère que la science moderne est née d’une rupture épistémologique radicale dans l’ordre des savoirs. Ce nouveau régime de savoir qui constitue la « Science moderne » est à distinguer de l’épistémè antique. Par exemple la physique ou l’astronomie qui apparaissent à cette époque ne s’inscrivent pas dans la continuité des élaborations du Moyen Age et de la Renaissance, mais introduisent un régime inédit de l’activité scientifique où la nature se voit interrogée en langage mathématique. Cette rupture entre les sciences de la nature et les sciences de l’homme qui dominent l’Occident a été opérée par Galilée et Descartes. Pour Galilée, la nature pouvait être décodée en langage mathématique. Il a voulu exclure nos sens de la connaissance puisque ceux-ci pouvaient nous tromper. Quant à Descartes, il a appréhendé l’homme avec le prisme de la dualité entre le corps organique d’une part et l’esprit d’autre part. La médecine s’est donc construite sur le dualisme corps/psychisme.

La gynécologue, docteur en médecine et histoire des sciences, A. Gabard écrit dans sa thèse que « le discours de la science est une science mécaniste, déterministe, simplificatrice, réductionniste, rationnelle dont le Graal était le souci d’objectivité, ostracisant le sujet et tout subjectivité. On se retrouve avec d’un côté la science et son objet, et de l’autre la philosophie et son sujet. Et cette mythologie scientifique, prétendument universelle présente pour le médecin une vraie carence de rationalité puisque, en expulsant le sujet subjectif pour ne garder que l’objet objectif, la médecine a disjoint la maladie du malade ». Cette coupure épistémologique a donc permis à la science moderne d’une part de séparer le Savoir et le Sujet et d’autre part de diviser le Savoir et la Vérité. Elle a pu ainsi se constituer comme discours, c’est à dire devenir un lien social. Nous expliquerons dans une autre partie ce qu’est le discours.

Soulignons que nous faisons une distinction entre l'idéologie de la science et les scientifiques des scientistes. De même, il ne faut pas confondre le discours médical avec la médecine et les médecins qui sont confrontés dans leurs cabinets à la souffrance de leurs patients. Il est donc normal que l’endométriose soit traitée avec les moyens que la science met à sa disposition : la médecine et la chirurgie. Toutefois, « le chirurgien qui ne pensera, par exemple qu’à éradiquer les lésions d’endométriose en oubliant tout le vécu de sa patiente n’aura souvent que peu de succès et beaucoup de récidives. La clef d’une bonne prise en charge est donc de tabler sur les deux côtes : psychologiques et physique (R. Maheux) ». Il y a donc une possibilité de prise en charge psychologique et psychothérapeutique pour la patiente.

Lorsque l’on révèle à une femme qu’elle souffre d’une maladie que le médecin nomme endométriose, et qu’on lui explique le comment des diverses implantations ectopies des cellules endométriales dans son corps et des conséquences à attendre dans cette anxieuse perspective de la reproduction, on l’entraine brutalement dans des champs qui lui sont totalement inconnus : l’anatomie, la physiologie, l’immunologie, l’endocrinologie etc…

Que va retenir la patiente ? Eh bien, elle va retenir qu’elle souffre d’une maladie organique qui la dépasse, et pour laquelle elle pense ne rien pouvoir faire. Le risque c’est que la patiente s’identifie au discours médical et par des déterministes organiques. Elle peut réduire son corps à un corps purement organique dépourvu de ressenti, de pulsions, d’expériences ou d’un vécu traumatique.

Prise dans le discours médical, la femme pensera qu’elle ne peut s’en sortir sans la science. Si le traitement médicamenteux et la chirurgie la soulagent, on remarque en consultation que la patiente peut penser qu’elle perd la maîtrise de son corps. L’origine de l’endométriose reste mystérieuse si on se cantonne à une explication purement réductionniste, matérialiste nous rappelle A. Gabard. La médecine, en ayant comme objet d’étude le corps biologique et organique, exclut tout vécu subjectif de la patiente. C’est donc la relation patient-médecin qui s’en trouve remaniée.

 

L’hystérique et le médecin 

Aux 19 et 20e siècles, les patientes qui présentaient des symptômes similaires à ceux de l’endométriose, encore non reconnue à cette époque, étaient diagnostiquées hystériques. Les patientes hystériques étaient méprisées, considérées comme malades. On leur faisait subir des chocs électriques, on les prenait pour des  menteuse. Soit ces patientes étaient hospitalisées en psychiatrie, soit leurs souffrances étaient décrédibilisées. C’est à ce moment que Freud s’intéresse à la souffrance de ces patientes, de ce qu’elles disent ou racontent de leur vie. Sa rencontre avec les patientes hystériques et leurs souffrances a été déterminante. Freud était un neurologue formé à la science expérimentale. Freud, neurologue formé à la science expérimentale était aussi un scientifique. Et c’est la rencontre de ce scientifique et des symptômes hystériques qui sera à l’origine de la découverte de l’inconscient. Freud dira que ce sont les patientes qui ont inventé la psychanalyse. Dès le début, les femmes ont fait l’histoire de la psychanalyse comme créatrices, comme penseuses, comme inspiratrices. La psychanalyse est donc apparue, au courant du 19e et du 20e siècles, en réaction à la société de normalisation, société produite par l’alliance de la science moderne et du capitalisme.

Pour la gynécologue A. Gabard, Freud « a emprunté une route très audacieuse en allant rechercher des forces psychiques opérant dans les coulisses de notre vie, en introduisant l’hypothèse d’un inconscient ». En effet, Freud « a créé une science nouvelle dont le seul outil de connaissance est la parole par définition « subjective », performance exceptionnelle dans ce début du XXIe siècle préoccupé en priorité par la recherche scientifique objective ». C’est en écoutant ses patientes, que Freud découvre que le symptôme a un sens et qu’il peut être interprété. Le symptôme est porteur d’une vérité refoulée et dont la science ne veut rien savoir. C’est la psychanalyse, en tant qu’expérience de la parole, qui va permettre au patient de nouer le corps et l’esprit, le savoir et la vérité. Ce qui se produit face au discours médical, c’est que ça « hystérise  » le patient. La patiente  va donc placer le médecin en position de maître. En règle générale, le patient met le médecin en position de maître, parce qu’il est détenteur d’un savoir.

Mais si le patient place le médecin en position de maître, c’est aussi parce que la science moderne se passionne pour l’anatomie, l’organisme du corps humain. Les médecins explorent le corps par les techniques de la science. La science médicale, croit au savoir concernant le corps anatomique.  Elle se croit donc en position de Maître, c’est à dire de pouvoir maitriser, de ?? le « tout savoir » sur le corps. Et cela n’est pas sans effets sur a la relation patient-médecin.  J. Lyotard avait repéré que la science était au service du discours capitaliste. De ce fait, « le savoir est et sera produit pour être vendu, et il est et sera consommé pour être valorisé dans une nouvelle production : dans les deux cas, pour être échangé. Il cesse d’être lui-même sa propre fin, il perd de sa valeur d’usage ». En conséquence, les médecins sont devenus les techniciens de la science.  En 1979, le médecin N. Bensaid faisait déjà le constat que « la médecine technicienne neutralise le dialogue de deux personnes, pour le réduire au dialogue de la maladie et de la médecine ». La médecine est réduite à être « une prestation de services - et le malade un consommateur de soins médicaux » (R. Gori et MJ. Del Volgo, 2005). Le médecin dialogue désormais non plus avec sa patiente mais avec sa maladie.

Le terme « d’hystérie » est tombé dans le domaine public, ce qu’il lui a fait perdre de sa valeur. C’est Freud qui a extrait l’hystérie de la maladie, de la psychiatrie. En psychanalyse, le mot hystérie n’est ni une injure, ni un diagnostic, ni une classification psychiatrique. Quant à Lacan, il en fait un discours, c’est à dire un lien social. Cette conception de lien social est très pertinente car tout être parlant (homme ou femme) qui s’inscrit dans le discours hystérique questionne, interroge toutes les idéologies des maîtres qui gouvernent (par exemple le président Macron). Bref, qu’est-ce que l’on entend par discours hystérique ?

 Le discours hystérique

 Le discours se définit comme lien social. Le discours hystérique c’est la relation patient-médecin : le dialogue entre le corps et l’esprit. Bien souvent quand nous consultons le médecin, en retour nous avons un diagnostic. Et le patient, lui, souhaite être soigné. Cela va passer par des médicament, par la chirurgie parfois. Le discours médical en général fait office d’autorité et on ne va pas forcément le remettre en question ni chercher à interroger notre corps dans sa dimension subjective. Quelque part, la science moderne ainsi que son discours, ont donc permis de raisonner différemment avec notre propre corps.

 Mais, justement il subsiste un autre lien social que celui du discours de la science. C’est celui du discours hystérique, qui joue un rôle fondamental dans la civilisation. Ce lien social a pour fonction d’interroger la vérité de l’Autre (que ça soit la science, les parents, le médecin, le professeur, le partenaire etc…) de son époque. Le discours hystérique permet de montrer en quoi la souffrance vient répondre à celle de la civilisation. A titre informatif, voici ci-dessous, le schéma du discours hystérique (développé par J. Lacan (« L’envers de la psychanalyse »).

Le discours hystérique

 $ : le sujet (le patient) en place d’agent

S1 : signifiant maitre (le médecin) en place d’Autre

S2 : Savoir (le savoir médical) en place de production

a : objet cause du désir en place de vérité

 

Dans le discours hystérique, le sujet (homme ou femme) se plaint que quelques chose fait échec à sa volonté : elle/il se plaint de son corps. Le plus souvent il s’agit d’une partie de son corps qui échappe à sa maitrise et la/le fait souffrir. Le sujet va donc interroger par l’intermédiaire de son symptôme le médecin, en position de maître ($—>S1). C’est à dire que la patiente s’adresse au savoir du médecin. En adressant sa souffrance, la patiente met au travail le médecin à produire un savoir sur son symptôme (S1—>S2). Mais le médecin avec son savoir, sa connaissance, est impuissant à satisfaire la demande du patient. Devant l’échec du médecin et du savoir qu’il produit, cela ne satisfait ni ne répond aux questions existentielles qui tourmentent le sujet (S2—>$). Le savoir du médecin (S1—>S2) ne peut rejoindre la vérité du sujet, sa jouissance féminine (a//S2).

Ce lien social nous enseigne donc que la patiente à partir de son symptôme autour duquel tout son discours s’ordonne, s’organise, parvient à mettre en évidence une perte inhérente au discours du médecin. C’est à dire que la patiente dévoile un trou dans le savoir du maître. Pourquoi ? Parce que la patiente ne veut pas que son corps soit récupéré pour la jouissance du maître. En effet, le sujet hystérique échappe à toute approche rationnelle des troubles ainsi qu’à toute tentative de scientifisation du corps. Le génie du sujet hystérique c’est de rappeler au Maitre que son savoir médical n’est pas complet. Les études scientifiques sur l’endométriose nous enseignent que cette maladie résiste à toute tentative de rationalisation produite par la science. En d’autres termes, le discours hystérique produit du savoir et participe au progrès. Le savoir que veut le patient, c’est un savoir capable de maitriser la jouissance de son propre corps. (pour plus d'explication sur la théorie du lien social : Perversion et lien social)

Freud va donc avec la psychanalyse, rompre avec la démarche scientifique. Il va faire entendre à la patiente que c’est elle qui sait pourquoi elle a ce symptôme. C’est elle qui a le savoir même si elle ignore qu’elle sait. Là où le corps de la patiente est objectivé par la Science, la psychanalyse restitue sa subjectivité, l’écartant ainsi de sa propension à se réduire à un objet pour l’Autre médical. Il donne au patient une forme de responsabilité, où les symptômes ne sont plus de l’ordre d’un déficit ou d’un problème biologique, mais où ils prennent un sens et disent quelque chose de l’histoire de la patiente. Quand les médecins décident d’écouter leurs patientes, ils font certaines découvertes, comme celle d’un possible lien entre endométriose et traumatismes d’ordre sexuel.

 

Le psychotraumatisme sexuel à l’origine de l’endométriose ?

Très peu d’études scientifiques ont été réalisées sur le lien entre endométriose et traumatisme sexuel. Le gynécologue et spécialiste de l’endométriose, J. Belaisch, reconnait que « pendant longtemps, aucun lien n’a été établi entre état psychique et endométriose ». Dans ses consultations avec ses patientes, ce gynécologue a été « surpris » de constater des analogies dans les scores de « dépression, d’anxiété et de psychasthénie » entre patientes endométriosiques et celles souffrant de douleurs inorganiques.

Il a été également surpris par les récits de traumatismes psychiques et d’agressions, souvent sexuelles durant l’adolescence de ces patientes. En 1999, il a réalisé avec J. Allart, une étude sur le lien endométriose et abus sexuel. Sur 200 patientes, 95 avaient souffert d’un abus, agression sexuelle et/ou de punitions physiques et d’abandon. En 2005, sur 300 patientes, 153 avaient vécu un abus ou agression sexuelle. Parfois les deux causes étaient réunies.

Pour Low et Coll « une intervention du psychisme dans la symptomatologie endométriosique leur semble plausible ». Ils font un lien entre angoisse, traumatisme psychique et endométriose. Les auteurs proposent deux hypothèses :

  • Une exacerbation de la motricité utérine et du reflux des cellules endométrites de nature neurovégétative.
  • Une altération des défenses immunitaires qui réduirait les possibilités de destruction des cellules endométrites régurgitées. Le neuropeptide Y servant d’intermédiaire entre les perturbations psychiques et le système immunitaire. La perturbation de l’axe psycho-neuro-endocrino-immunologique est liée à une forte angoisse précédant l’apparition de l’endométriose.

 

Le trauma en psychanalyse

Il arrive à un moment de notre vie que le corps se fasse le lieu des symptômes qui viennent se greffer sur lui. Le symptôme emprisonne, empêche, paralyse le corps, il lui interdit de jouir « normalement » de sa vie. Le sujet ignore donc qu’il « parle avec son corps, et ceci sans le savoir. Il dit donc toujours plus que ce qu’il en sait » (J. Lacan). Le corps jouit donc de lui-même, il s’affecte de jouissance. Le corps est marqué par les mots. Il est non seulement imprégné de mots mais il réagit aux mots, qu’il soient prononcés par l’Autre (médecin, parents…) ou pensés par le patient lui-même. Le scientifique Alain Prochaintz, disait que « la pensée est toujours déjà engagée dans la totalité de l’organisme ». Penser est donc très lié au corps, et avec le corps. Les mots ne font pas que de décrire, de démontrer mais ils touchent, bouleversent, blessent. Ce qui fait dire a A. Gabard que « la féminité bafouée de ses patientes s’imprime, s’inscrit, s’écrit dans leurs corps ». Le corps sert d’expression à l’inconscient pour traiter ce qui ne peut se dire. Il se sert du corps pour dire ce qui n’a pu se dire. Autrement dit, l’endométriose écrira sur le corps ce que la patiente a voulu ignorer, et réapparaîtra sous forme d’angoisse ou d’un autre symptôme (les douleurs). Ainsi, « ces femmes abusées qui ont une représentation de leur réalité féminine égratignée, détériorée ou bien brisée construisent un appareil gynécologique à leurs image » (A Gadard).

On rejoint la gynécologue A. Gadard quand elle dit dans sa thèse que l’endométriose remet en cause le dualisme retenant un corps séparé de l’esprit sans interaction entre eux. Pour rappel, l’endométriose a des répercussions sur la féminité, la grossesse et la sexualité.

Pour la psychanalyse le corps et le psychisme forment donc une unité qui s’influencent mutuellement. Dès lors, nous considérons l’endométriose comme un symptôme non seulement dans son acception médicale mais aussi dans sa dimension psychique. Le lien qui existe entre traumatisme d’ordre sexuel et l’endométriose nous amène à proposer une définition supplémentaire du symptôme.

Nous considérons que le symptôme, en tant que formation de l’inconscient structuré comme un langage, est une métaphore, c’est à dire un effet de sens induit par la substitution d’un signifiant (un mot) à un autre. Avec le trauma, le symptôme se définit aussi comme « évènement de corps ». Autrement dit, l’endométriose, en tant que symptôme, est une métaphore (opération de chiffrage) et un « évènement de corps. C’est à dire que le corps de la patiente a été impacté par un événement de discours qui prend valeur d’un trauma. Celui-ci va être refoulé parce qu’insupportable, intolérable à la conscience. La scène traumatique va donc s’inscrire dans le corps et se modifie en symptôme. L’endométriose est donc cette marque, cette trace du trauma qui dérange, perturbe le fonctionnement de l’appareil génital féminin. Mais c’est aussi l’émergence d’un signifiant (l’endométriose) qui va prendre racine dans cette zone du corps, et qui devient cause de jouissance. Cette jouissance est à entendre comme une satisfaction qui ne produit pas un plaisir, l’homéostasie, mais au contraire un déséquilibre et dérangeant. La répétition des douleurs qu’engendre l’endométriose concerne non seulement l’actualisation d’une scène traumatique mais aussi un retour de jouissance de cet événement. Et c’est cette jouissance qu’il s’agit de traiter durant le travail thérapeutique.

L’exemple des patientes de Freud

Pourquoi les patientes qui seraient atteintes d’endométriose ne font-elles pas de lien avec un traumatisme ou un abus sexuel ? C’est parce que la question du trauma renvoie la patiente dans son rapport au corps, à son corps.

Freud en écoutant ces patientes hystériques avait déjà repéré un évènement traumatique chez elles : un abus sexuel ou un inceste. Il a fait le lien entre le symptôme et l’événement. Selon sa théorie il y a un premier évènement traumatisant : un abus sexuel subi dans l’enfance ou adolescence. Le sujet ne veut rien savoir et il n’a pas les capacités psychiques ou les représentations suffisantes pour intégrer, symboliser la scène sexuelle et la comprendre. Cet événement sera donc refoulé hors champs de la conscience. Le refoulement est un mécanisme de défense contre l’insupportable, l’intolérable, l’innommable et protège le sujet. C’est dans un 3e temps, que ce savoir inconscient (refoulé) fera retour sous la forme de symptôme.

Freud c’est rendu compte que beaucoup de patientes présentaient des traumatismes d’ordre sexuel et parfois commis par le père. Cette constations clinique lui a semblé incroyable voir insupportable, car c’était reconnaitre que le père ou l’homme était un pervers pour s’attaquer à des enfants, et une telle perversion des hommes lui a paru inacceptable.

Mais un autre aspect clinique le faisait douter. C’était l’impossibilité pour la patiente de remonter à la scène traumatique, l’incapacité de relever un indice de réalité qui permet de distinguer le réel de l’imaginaire (le fantasme). Il élabora dans un 2e temps la théorie du fantasme. Il identifia à un fantasme ce qu’il avait cru être un traumatisme. Quelque part Freud a refoulé l’horreur qu’il a découverte : celle d’une énorme perversion commise à son époque et des abus sexuels qui lui étaient intolérables. Il a donc supposé que les patientes prenaient leur imagination pour la vérité et traduisaient leur désir de séduire le père en une réalité.

On peut se poser la question : à quoi le sujet cède-t-il dans le traumatisme sexuel et psychique ? Dans une situation traumatique, le danger est là, présent, mais l’angoisse qui a pour fonction de signaler le danger, n’a pas eu le temps d’être éprouvée, de surgir, qu’il y a déjà l’effraction qui se produit. Le sujet cède quelque chose de lui-même. Une part de son corps lui est comme arrachée.

C. Leguil nous dit que « cette intrusion brutale de l’Autre, via le regard, la voix, une parole qui déchire le voile qui recouvre le monde des liens à l’autre, en visant l’être et la jouissance via le corps de l’Autre lui-même qui impose sa pulsion, qui force l’accès à la jouissance, est la cause déterminante du traumatisme sexuel et psychique». Forcer l’accès à la jouissance, cela veut dire que c’est aussi bien la jouissance de l’Autre qui s’impose mais aussi la jouissance de la victime qui est comme arrachée à un corps qu’elle a déjà perdu. Dans l’effroi, la patiente ne peut dire « non », il y a une cession qui se produit. Le « Non » est un « non » du corps qui est forcé par l’Autre. Quelque chose c’est figé dans la situation.

Il y a dans le traumatisme, un « figement » (C. Leguil). Le figement relève un caractère inarticulable de la situation traumatique et c’est une marque de l’évènement sur le corps. C’est à dire que quand le sujet se retrouve figé, il se retrouve comme pétrifié. C’est là qu’on peut comprendre pourquoi Freud n’a pas pu aider les patientes à se remémorer la scène traumatique. En effet, « quelque chose du vivant du corps est comme capté, extorqué, arraché au sujet ». La patiente ne parvient plus à s’extraire de la situation traumatique. Même si le sujet tente de se défendre, il y a une « déflagration qui touche le corps de telle façon que le sujet est comme séparé de ce corps. Il ne peut plus le mouvoir. Le sujet à la fois réduit a son corps pris au piège de la situation traumatique et contraint à céder quelque chose de son corps ». Le caractère inarticulable de la scène traumatique produit donc un nœud qui maintient inarticulé l’évènement et qui ne peut se verbaliser.

En conclusion

L’endométriose n’est donc pas seulement une maladie gynécologique qui doit être traitée seulement par médicament et chirurgie. Elle doit être ramenée à l’histoire de la patiente. Freud qualifié la sexualité féminine sous la forme d'un "continent noir". La femme, terre inconnue, donc. Ou, mieux encore, « sanctuaire de l’inconnu ». Parce que ne disposant pas des « mots pour se dire » ? Parce que condensant à elle seule tout l’indicible ? Échappant pour une part essentielle à la prise du symbolique? Et Freud de dire "« Si vous voulez en savoir davantage sur la féminité, interrogez votre propre expérience, adressez-vous aux poètes, ou bien attendez que la science soit en état de nous donner des renseignements plus approfondis et plus coordonnés ».

 

Référence bibliographique :

A. gabard Allard : Notre santé au risque de notre histoire - Thèse

D. NGUYEN : Lien entre violences sexuelles et endométriose - Thèse

S. Gouesbet Endometriose : perspectives des patients pour améliorer la prise en charge - Thèse

Site web : endofrance.org

L. Legrand Endometriose : physiopathologie - Thèse

Lacan : séminaire l’envers de la psychanalyse

C. Leguil - Céder n’est pas consentir

S. Ferenczi - le traumatisme

Freud - La vie sexuelle

Freud - Nevrose, psychose, perversion

L. Israel le médecin et l’hystérique

Nasio - L’hystérie

J. Belaisch - L’endometriose genitale et traumatismes psychologiques.

J. Belaisch - Endometriose et psychologie

J. Belaisch - Endometriose et vécu de l’adolescence

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