Dans un précédent article (en cours de modification), il avait été question d’aborder la perversion et son fonctionnement. Il s’agit dans cet article, d’explorer la question du lien social quelle sous-tend, et, donc, du discours dans lequel la perversion pourrait s’inscrire. Le lien social qui semble se rapprocher de la structure de la perversion est le discours capitaliste. Nous montrerons aux travers de divers exemples comment les institutions, les dispositifs, la vie psychique du sujet humain etc… se retrouvent pervertis par le lien social du néolibéralisme, qui est dominé par le discours capitaliste.
Si en effet, le psychanalyste écoute ce qu’il y a de plus singulier, de plus intime, de plus privé chez l’être humain, c’est aussi une écoute du « malaise dans la civilisation ». Le sujet individuel est aussi un sujet pris dans un champ collectif et social. En 1920, Freud soulignait que « la psychologie individuelle est d’emblée et simultanément une psychologie sociale ». D’où la définition « l’inconscient c’est la politique ». Je pars donc du principe qu’il en va de l’éthique du psychanalyste, de faire face à la conjoncture de son époque, à son contexte historique, et à un certain état de malaise au sein de cette civilisation.
La société et le lien social :
L’organisation du lien social que produit une société à un moment donné est fondamentale dans la construction des subjectivités, du Moi et des rapports entre individus. En clair, une société choisit de se construire et d’agir selon une psychopathologie (dépression, anorexie mentale, addiction, bipolarité etc…) propre à une culture et à une époque. Autrement dit, la société d’hier ne ressemble pas à celle d’aujourd’hui. À l’époque de Freud, les patients consultaient parce qu’ils étaient écrasés par les interdits.
Aujourd’hui les patients consultent parce qu’ils sont écrasés par les impératifs de jouissance. Cela peut s’expliquer comme l’affirment J.P Lebrun et C. Melman que nous sommes passés « d’une culture fondée sur le refoulement des désirs et donc sur la névrose, à une culture qui promeut plutôt la perversion » et donc l’exhibition de la jouissance. Le terme de jouissance est à comprendre dans un sens juridique d’une part, c’est-à-dire jouir d’un bien (de son propre corps, des objets de consommation, de son travail etc..) et d'autre part, comme une satisfaction ne produisant pas un/de plaisir mais au contraire un déséquilibre profond et dérangeant. Jouir d’un verre de vin n’est pas la même chose que de jouir de la bouteille. En effet, notre époque hypermoderne, comme son nom l’indique, est une « modernité » de l’excès, de la démesure, de l’hubris et du sans limite. Cette époque s’organise sur le lien social du néolibéralisme que J. Lacan qualifie de discours capitaliste.
Le néolibéralisme
Le lien social du néolibéralisme, structuré par le discours capitaliste et celui de la science, ne se réduit pas seulement à un système économique mais c’est aussi une vraie philosophie politique, c’est à dire une manière de vivre. Comme le font remarquer Laval et Dardot, « ce qui est en jeu n’est ni plus ni moins que la forme de notre existence, c’est à dire la façon dont nous sommes pressés de nous comporter, de nous rapporter aux autres et à nous-mêmes. Le néolibéralisme définit en effet une certaine norme de vie dans les sociétés occidentales et, bien au-delà, dans toutes les sociétés qui les suivent sur le chemin de la modernité ». L’idéologie néolibérale en déterminant « l’Être social », la norme de l’individu, bouscule les subjectivités. Pour ces auteurs, en s’imposant comme une politique de civilisation, le néolibéralisme met au cœur de son fonctionnement la « norme du marché concurrentiel » dans tous les domaines de la vie, dans les moindres domaines de l’existence humaine. La rationalité marchande s’impose désormais dans la santé, l’éducation, l’art, la justice, le monde universitaire et les « choses de l’amour ». Si tous les domaines sociaux se trouvent affectés et impactés, tout devient marchandise : le corps, la vieillesse, la mort, la sexualité, le soin etc. Cela engendre donc de nouvelles normes de vie, d’existence et de subjectivité. Il n’est pas surprenant de constater que notre rapport à soi, à l’Autre et aux objets s’en trouve remanié. Le social en tant qu’Autre prend la forme d’une logique libérale et capitaliste. C’est a dire que « l’Autre en étant désincarné de ses incarnations imaginaires devient une entité mathématique qui idolâtre la performance chiffrée » (R. Gori).
L’Autre désigne le lieu du langage, trésor des signifiants (les mots), situé au-delà de quiconque et où se situe ce qui est antérieur à l’enfant et qui néanmoins le détermine. C’est la mère qui fait office de premier Autre pour l’enfant, ce qui veut dire que c’est elle qui rend présent à l’enfant cette scène où sa subjectivité va être construite par les paroles extérieures à lui-même avant qu’il ne se les réapproprie. L’Autre renvoie donc à la dimension de l’altérité : celle de tous les partenaires (les parents, la fratrie, les voisins, les amis etc…) qui supportent donc les identifications, l’identité et le désir du sujet. Mais l’Autre est aussi à entendre comme référence générique (Dieu, l’Etat, la Cité, l’Entreprise, Le Marché, la Concurrence…) qui renvoie à un lieu de détermination et a un ordre symbolique préalable et extérieur au sujet humain. |
Pour Jean Claude Michea, la civilisation dans laquelle domine l’économie marchande impose à chacun un mode de vie bien particulier consistant à vendre quelque chose, en général lui-même (son temps, son travail). Pour Dany Robert Dufour, le néolibéralisme libère l’égoïsme et l’avidité, qui engendrent donc de nouvelles conduites sociales humaines. L’autre serait réduit à un objet, une marchandise et non plus considéré comme une personne à part entière. Comme le décrit M. Foucault, le sujet néolibéral serait un individu « entrepreneur de soi-même », autonome, performant et compétitif, toujours plus encouragé à faire de son « entreprise de vie » un succès. Le sujet néolibéral c’est votre enfant, vous, le manageur, moi etc..
Ce que le néolibéralisme propose c’est donc un retour de la jouissance perdue sous la forme de l’objet de consommation. Pour Foucault « l’homme de la consommation, dans la mesure où il consomme, est un producteur. Il produit quoi ? Eh bien, il produit tout simplement sa propre satisfaction. Et il faut considérer la consommation comme une activité d’entreprise par laquelle l’individu, à partir précisément d’un certain capital dont il dispose, va produire quelque chose qui va être sa propre satisfaction ».
Le maitre-mot qui conditionne notre époque est la « dictature du chiffre » issue de l’alliance de la science et du capitalisme. Le chiffre s’infiltre à l’intérieur des évaluations : du soin, de l’éducation, de l’enseignement, de la justice, de la culture, de la recherche, de la formation etc…Il y a donc une reconstruction des métiers fondée par cette « idéologie pilotée par des chiffres » (R. Gori).
Dans les années 1970, Lacan à partir de sa conception du lien social et donc des discours, avait diagnostiqué le malaise de la civilisation en l’identifiant au rejet de l’Autre et à la « montée au zénith social de l’objet a », c’est à dire aux objets de consommation. Mais comment définir, d’un point de vue psychanalytique, le discours capitaliste d’une société néolibérale ? Et en quoi le lien social du néolibéralisme favoriserait-il la perversion ?
Qu’est-ce qu’un discours ?
La notion de discours en psychanalyse se distingue de celle de Foucault. Le philosophe définit le discours comme « un ensemble de procédures de contrôle, de sélection, d’organisation et de redistribution de la parole ». Le discours ne renvoie pas non plus à un ensemble de parole qui serait destiné à un auditeur lors d’une manifestion ou d'une conférence. Ce n’est pas non plus une théorie de la communication.
Pour Lacan, le discours c’est le lien social : « cette notion de discours est à prendre comme lien social, fondé sur le langage ». Le discours est donc une structure langagière qui permet de définir « l’être social conforme à une époque, à une civilisation donnée, et propose un ordre de distribution de la jouissance » (M.J Sauret). C’est à dire qu’il y a des modes de jouissance qui sont définis, admis et tolérés par notre société. Les modes de vie des patients dépendent donc de la structure du lien social par le discours. Autrement dit, si c’est le sujet humain qui s’inscrit dans un type de discours, c’est bien le discours qui cherche à instituer un « être social » conforme à sa structure de son époque. En clair, le lien social du néolibéralisme produit, façonne un sujet néolibéral.
La théorie des discours
Pour la psychanalyse il n’y a que quatre discours qui définissent donc un mode de lien social, et dont chacun à sa manière, permet au sujet de traiter son rapport à l’autre et à sa jouissance. Lacan a élaboré quatre discours, qui sont : le discours du maitre, le discours hystérique, le discours universitaire (ou la science) et le discours analytique. Quelque part la réalité qui nous entoure, qui nous détermine, que nous composons et qui nous compose ne peut être constituée que par ces quatre discours. La condition de l’être humain et de sa relation à l’autre ne peuvent donc fonctionner qu’à l’intérieur de ces quatre discours dans son rapport à l’autre.
À partir de ces quatre discours, Lacan en extrait un cinquième, qui est le discours capitaliste. Il ne s’agit pas ici de critiquer ni d’écrire un pamphlet sur le capitalisme mais de rendre compte de sa structure discursive et de ses effets sur la subjectivité. Le discours capitaliste n’est pas non plus à comprendre dans un prolongement théorique de la réflexion de Marx sur l’exploitation de la force de travail par le système et l’économie du capitalisme. Si la théorie psychanalytique s’inspire du concept de plus-value mis en évidence par Marx, c’est pour rendre compte du détournement de la jouissance opéré par le marché néolibéral. Le discours capitaliste tout comme les autres discours, est une modalité d’organisation du lien social, c’est-à-dire un style de « vivre ensemble », une manière d’organiser les rapports humains. Le discours capitaliste désigne donc le mode de lien social contemporain de l’avènement du capitalisme comme système économique et du néolibéralisme comme philosophie politique. Abordons la structure du discours.
Schéma du discours
La structure du discours se compose de quatre places fixes et invariables : l'agent, l’autre, la production et la vérité. Les flèches indiquent une circulation des éléments du discours. Les quatre places :
- L’agent, c’est celui qui parle, qui gouverne, qui commande.
- L’autre, celui à qui l’agent s’adresse, qui en travaillant répond par une production.
- La production, soit ce que le discours produit comme effet. Ce reste de production revient à l’agent.
- La vérité : c’est ce au nom de quoi le discours s’énonce. C’est la vérité de ce qui est refoulé du discours mais qui pourtant le détermine et le constitue. Et le circuit discursif se relance. La vérité peut s’adresser à l’Autre en passant par divers moyens, comme par un exemple un lapsus.
Les quatre discours se structurent également sur l’absence de relation entre la place de la production et la place de la vérité représentée par la barrière de la jouissance : // Autrement dit la production et la vérité ne se rejoignent pas.
L’Autre dans le discours n’est pas le semblable ou une personne, c’est plutôt un Autre que chaque sujet se construit. Donc par exemple, le salarié A ne s’adresse pas au salarié B mais à l’Autre de son discours.
Les notions Impossible et impuissance dans le schéma : ces notions forment les articulations fondamentales dans la structure du discours. Ces deux articulations sont fixes dans la structure du discours. Elles vont déterminer des relations stables, toujours les mêmes.
Sur ces quatre places qui composent le discours vont circuler quatre éléments : $, S1, S2 et a. Ces quatre éléments représentent aussi ce qui structure et détermine le sujet humain. Voici les quatre discours à titre d’information ci-dessous :
Nous ne parlerons uniquement que du discours du maitre et du discours capitaliste. Mais avant abordons les éléments qui prennent place dans le discours.
Les éléments du discours
$ : C’est le sujet divisé par le langage (Moi/Je). Cette expression veut dire qu’avant notre naissance nous sommes parlés dans l’Autre avant de parler. Nous sommes marqués par les mots (signifiants) de l’Autre (le langage). C’est-à-dire qu’à partir du moment où il consent à parler, le sujet fait l’expérience que dans le langage, il n’y est que représenté. En parlant, le sujet découvre qu’il est divisé/séparé de son être. Donc le langage divise notre être. Qui pourrait croire qu’il n’est qu’un avec lui-même ? Un exemple tout bête pour illustrer cette proposition : le lapsus. Le lapsus est une formation de l’inconscient. Et « l’inconscient c’est le discours de l’Autre ». C’est ce qui se dit à notre insu. Le sujet se définit donc comme manque-à-être. Les mots ne pouvant tout dire, il y a toujours un reste insondable. Mais ce manque à être qui constitue le sujet, est comme un trou dans le savoir, cela vient causer du désir. Cette perte de jouissance de l’être, va pousser le sujet à s’adresser à un Autre auquel il suppose un savoir sur lui-même, en vue d’en récupérer quelque chose. Le sujet demande à l’Autre (les parents, puis le Social) de combler son être perdu, son manque à être. Ce que l’on voit très bien dans un couple. On attend du partenaire qu'il nous comble, qu’il nous complète ou qu'il nous garantisse un savoir sur nous-même.
S1 : c’est le signifiant maitre. En linguistique le signifiant c’est l’image acoustique du mot. Le signifiant, (S1) c’est ce qui représente le sujet auprès d’un autre signifiant, (S2). Pourquoi maitre ? Ce sont les premiers signifiants du sujet issus de son histoire personnelle, de sa singularité. Ces premiers signifiants nous viennent de l’Autre qui va nous définir et nous déterminer (le prénom, le sexe, le genre, la profession etc…). Mais ce signifiant maitre S1, seul et isolé, ne signifie rien. Il a besoin d’un autre signifiant S2, pour donner sens, pour produire une signification.
S2 : C’est l’ensemble des signifiants, le savoir. Prenons un exemple : le cri du bébé, c’est S1. Ce S1 (le cri) échoue à faire passer complètement tout son être du bébé au savoir. S2 (ici la mère) a pour but de signifier ce que le premier signifiant (S1, le cri) reste impuissant à signifier s’il reste isolé. La mère va interpréter le cri du bébé comme une demande : « ah mon bébé, il a faim » ; « ah mon bébé, il a froid », « il a fait dans sa couche » etc. C’est l’Autre, le langage qu’incarne la mère qui va donner du sens au cri du bébé. De cette opération S1-S2 résulte un produit, un reste ou une perte. Cet élément c’est la lettre a.
a : se dit « l’objet petit a ». L’objet petit a c’est le plus-de-jouir. Pris dans le langage, le sujet se trouve séparé de son objet. Dans le cas du bébé, le sein maternel ou le biberon incarne l’objet petit a, le plus de jouir.
Ce terme de « plus de jouir » fait référence à la notion de plus-value de K. Marx. L’objet a est justement ce qui de la jouissance se constitue comme perte. Cette perte est la jouissance de l’être auquel le sujet a renoncé, a sacrifié pour s’assujettir au langage. Cet objet est donc originellement perdu, inaccessible et à jamais impossible à retrouver parce que le sujet n’a que le langage pour combler ce manque. C’est cette perte d’être qui nous pousse à nous adresser à un Autre auquel on suppose un savoir, en vue d’en récupérer quelque chose. Mais c’est ce manque à être qui cause notre désir et c’est ce après quoi on court sans cesse. La montre, la voiture, le téléphone, la carrière professionnelle ce sont des objets qui se substituent à l’objet premier et originel.
Ces quatre éléments ($, S1, S2, a) structurent donc notre condition de sujet ainsi que le lien social. En changeant de place dans les discours, ces éléments modifient, transforment leurs qualités et leurs valeurs respectives. Enfin les quatre discours sont en interaction, articulés ensemble et ne se déduisent les uns des autres que par un quart de tour. C’est le lien social qui permet d’instituer du « vivre ensemble ». C’est à partir de nos signifiants maitres issus de notre vécu, de notre histoire qui nous permet de prendre place dans le lien social.
Le cercle des poètes disparu – film de Peter Weir (1989)
Dans le film, Neil (R. S Leonard) est un étudiant exemplaire, dynamique, équilibré et aimable. Il a une passion, le théâtre et souhaite devenir acteur. Cependant, il privilégie ses études pour ne pas décevoir son père (l’Autre) qui veut qu’il fasse des études de médecine pour devenir médecin. Neil à Todd (Ethan Hawke), son camarade de chambre : « Mon père désire que j’aille en médecine, mais ce n’est pas ce que je veux ». Mais il promet à son père (Kurtwood Smith) de ne pas le décevoir. Son collège se fonde sur quatre mots-maitres ou signifiants qui sont : Tradition, Honneur, Discipline et Excellence.
C’est la rencontre avec le professeur Keating (Robin Williams) qui va être déterminante pour Neil, celle de ne pas céder sur son désir : faire du théâtre et être acteur. En découvrant que son fils a joué une pièce de théâtre, son père le retire du collège et s’oppose à son désir. Désemparé et impuissant face à la jouissance du père autoritaire, Neil comme Antigone ne cédera pas sur son désir et se suicidera.
Le suicide sera une manière brutale de faire objection, de ne pas se conformer à l’être social de l’Autre (son père). Le non du père porte sur le signifiant (acteur) qui représente Neil. Neil se retrouve désarrimé du lien social. Il n’est plus tenu par le signifiant. C’est la perte de ce signifiant qui entraine Neil au suicide.
Le professeur Keating incarne dans le film l’idéal du moi. Il est dans le discours de l’analyste. Il met ses élèves (Sujet) en position autre. Il commande à ses élèves de produire des signifiants maitres qui pourront les définir, les représenter et prendre place dans la société. L’éthique du désir du Pr Keating c’est de « forger des esprits libres ». Il pousse ses élèves à se construire dans et par leur parole ; que ses élèves ne renoncent pas à leurs rêves « l’homme n’est jamais aussi libre que lorsqu’il rêve ; cela fut, est et restera la vérité ».
Le professeur Keating est assis sur du savoir inconscient (S2, dans le discours de l’analyste). Lors d’un cours, le professeur ordonne à ses élèves de déchirer les pages du livre scolaire, en accomplissant symboliquement le meurtre du père. Il les invite à « sucer la moelle secrète de la vie » ; « peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde » ; « On ne lit pas ni écrit de la poésie parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passions. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l’amour, c’est pour ça que l’on vit » ; « carpe diem ». Ce que Pr Keating transmet à ses élèves c’est l’urgence que le temps et la mort imposent : vivre l’instant présent, cueillir le jour présent, ne pas céder sur son désir ! Son enseignement, ses leçons de vie ont pour fonction de libérer le désir et de le transformer en liberté.
Neil à Todd « j’ai eu une révélation, je veux être acteur et tant pis pour mon père ». Acteur c’est le S1 qui représente Neil. C’est ce qui le définit et le détermine mais dont son père ne veut rien savoir. Neil et ses camarades rejettent les signifiants de l’institution. La relation entre le père et son fils Neil se fonde sur le discours du maitre.
Le discours du maître
Ce lien social est le plus ancien. C’est celui qui structure les rapports humains dans le temps de l’histoire ancienne, celle où la Polis est régie par les rapports au Roi, au Chef, à Dieu, au Leader, au Père etc… Ces figures d’idéal ou de l’Autre, sont des figures de maitre et de l’ordre social qu’elles incarnent et qui se réservent l’usage de l’objet de complétude et du plus de jouir. Le maitre est celui qui, en place d’exception, nomme et ordonne le monde. Ce discours est donc à situer à l’origine. Il fut le premier historiquement à se construire comme réponse à la plainte du sujet, à son impuissance.
Pour développer le discours du maitre J. Lacan fait référence à la dialectique du Maitre et de l’esclave d’Hegel. Comme le montre Hegel, face au maitre c’est l’esclave, qui surgissait comme Autre, celui qui est assujetti au maitre. L’esclave, c’est celui qui a un ensemble de savoir-faire. Il sait faire jouir le maitre. Ce sont des savoirs faire, savoirs techniques comme : faire la cuisine, fabriquer des armes, chasser etc…Il sait même faire de la philosophie.
Le discours du maître peut donc se lire de la manière suivante : le Maitre met au travail l’esclave (S1—>S2) afin qu’il produise un objet (S2—>a) qui répond au commandement. Cet objet est récupéré par le maitre (a—>S1), dont on ne sait pas vraiment ce qui l' anime dans sa démarche, sa quête. D’où l’être du sujet ($) en position de vérité. En effet, le discours du maître se structure sur cet impossible de la relation entre le sujet et son objet. C’est à dire que l’objet de la production ne peut rejoindre ou atteindre la vérité de l’être du sujet ($ // a). Le symbole // représente la castration ou la barrière de jouissance. L’esclave ne peut tout dire de la vérité sur l’être du sujet, car il ne détient pas toute la vérité du sujet. Il est donc impossible à l’agent, au maitre, de commander, gouverner, de faire travailler l’esclave et de jouir de toute la plus-value. Le maitre doit nécessairement en renoncer à une partie et paradoxalement, l’esclave jouit encore de son savoir faire ou savoir technique qui lui confère une certaine supériorité sur son maitre. La relation entre Neil et son père montre que leur lien social est celui du discours du maitre. Neil en position d’autre, sait ce qui fait jouir son père (S1), la médecine (a). Dans le discours du maitre, il faut que ça marche, rien ne doit mal se passer. Le maitre ne désir rien savoir, il veut juste que ça marche, que ça fonctionne. Le père de Neil « je t’interdis de m’humilier en public. Tu feras tes études de médecine. Tu peux oublier le théâtre ». Ce que cache la vérité c’est la castration du père (il n’est pas médecin). Le malaise dans la civilisation contemporaine met en évidence que la conjonction de la science et du capitalisme ont précipité des bouleversements profonds dans le discours du maitre traditionnel.
Le discours capitaliste
C’est le discours capitaliste, qui conditionne le lien social de notre époque. Il est une forme d’évolution du discours du maitre moderne. Le discours du maitre moderne - ici rapporté au discours capitaliste - est à distinguer du discours du maitre antique (dialectique du maitre-esclave) et du discours du maitre classique (qui se rapporte plus à la souveraineté qui émerge au Moyen Âge).
Le discours du maitre ancien correspondait aux sociétés régentées par un ordre hétéro-patriarcal et phallique, qui structurait l’ordre social par l’imposition d’un certain type de normes symboliques. De même, une civilisation évolue en fonction des maitres mots qui la fondent et des idéaux qui constituent en retour une subjectivité. Notre époque, comme indiqué précédemment, est celle de l’hypermodernité qui se fonde sur l’omniprésence de la technoscience et du marché économique qui définit ce que Lacan appelle le discours capitaliste, soit le lien social du néolibéralisme. Elle se caractérise par le rejet de l’Autre au profit de l’objet de consommation, qui est porté sur le devant de la scène et a emporté avec lui les structures traditionnelles de nos sociétés. Les maitres mots comme égalité, fraternité, liberté sont mis a mal par le lien social dominant. Ces maîtres mots ne permettent plus au sujet de s’orienter dans sa vie. C’est au néolibéralisme que l’on doit les maîtres mots comme « rentabilité » , « compétitivité », « profit », « chiffre » ou encore « performance », « efficacité », « concurrence » etc…Il est donc normal que le Social en tant qu’Autre prenne la forme logique libérale et capitaliste. Avant d’aborder la structure du discours capitaliste nous allons donner quelques exemples sur les effets pervers que produit ce lien social dans les domaines de la vie : la culture, la santé, l’entreprise, la scolarité, les choses de l’amour etc…
- Le domaine de la culture : l’humoriste Malik Bentalha
Dans une interview, l’humoriste Malik Bentalha expliquait qu’il était passé par un burn out ou une dépression : « C’est d’être aimé le lundi et d’être moins aimé par la suite quand tu es soumis par la pression des chiffres. Quand tu sors quelque chose, tout est chiffré aujourd’hui. Les films, les spectacles, les audiences. Ça devient une drogue : quand tu te lèves le matin, alors les chiffres (sous entendu combien il a fait). C’est cette aspect-là des chiffres qui m'a un peu déstabilisé ». « ce que l’on fait c’est de l’art, ce que l’on propose c’est quelque chose qui nous touche ».
Le journaliste : « Au point de te rendre malade ? »
L’humoriste : « Oui parce que tu mets tellement de cœur dans ce que tu fais. C’est important, tu veux pas trahir le public, tu essaies de leur rendre. Et parfois tu as l’impression d’avoir mal fait les choses, quand le succès n’est pas là. Le succès ne se compte pas avec les chiffres, au contraire si tu l’as fait avec le coeur et que les gens, ça les touche, c’est l’essentiel ».
Voilà où peut mener « la dictature du chiffre ».
Cet exemple illustre comment l’humoriste s’était retrouvé coincé dans le discours capitaliste. L’objet a, c’est-à-dire son plus de jouir c’était le « chiffre ». Il a été exploité par son propre objet de jouissance. Le chiffre ferait disparaitre le manque à être et viendrait donc combler son existence au profit de la jouissance.
- Le domaine de la santé : Anecdote professionnelle
Il existe à Tokyo un centre paramédical qui était à l’époque un cabinet d’ostéopathes. À mon arrivée à Tokyo en 2016, une connaissance professionnelle m’avait parlé de ce centre. Il s’avère que le cabinet des ostéopathes (à l’époque), avait un troisième bureau en plus. En France, j’exerçais en libéral dans un cabinet paramédical avec un confrère avec qui je partageais le bureau. Je payais un loyer. Je me présentai et me renseignai pour savoir s'il était possible d’occuper le bureau de manière quotidienne pour développer ma pratique clinique. Ils m’expliquèrent que le bureau était loué aux différents praticiens francophones : sophrologue, coach, masseuse, psy, kiné, etc…Il fallait donc réserver le bureau à l’heure. Je compris très vite que l’ostéopathe était davantage intéressé par la rétrocession de 30% sur chaque consultation. Je compris également que cela lui permettait d’orienter ses propres patients dans son centre. Récemment, le centre paramédical s'est trouvé remanié : son associé a pris son propre cabinet, a entre temps sponsorisé un visa de travail pour une psychologue et le troisième bureau reste toujours dans le même dispositif. J'ai plus ou moins eu la même expérience à Yokohama (rétrocession à hauteur de 25%) dans une clinique avec médecin et dentiste.
En tant que psychologue, on peut proposer plusieurs interprétations :
- La première interprétation : Le centre paramédical est un dispositif. Nous considérons le dispositif au sens d’Agamben, c’est à dire : « j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ».
- Cette définition ouvre sur une deuxième interprétation :
La mise en place de ce type de centre paramédical a pour fonction d’assujettir les patients et les praticiens à ce genre de dispositif. Dispositif que R. Gori qualifie de « servitude volontaire » qui fabrique de nouvelles manières d’agir et de penser le monde. Pour cela, le centre peut avoir recours à des « pratiques Nudges ». Cela se traduit par un « coup de pouce » qui a pour fonction d’aider de manière plus ou moins « douce », mais toujours insidieuse les personnes dans leurs prises de décisions par des« coups de coude », adroitement distribués. Pour R. Gori, la pratique nudge est associée à des stratégies de conditionnement des conduites. Les nudges s’inspirent de l’économie comportementale. Il s’agit en somme de conduire les individus à décider de faire par eux-mêmes le choix que l’on attend d’eux. Autrement dit, c’est une « perversion sociale à laquelle le nudge parvient à faire croire aux gens qu’ils sont libres pour mieux les manipuler. Les psychologues sociales nomment cette manipulation « la soumission librement consentie ».
- Enfin la troisième interprétation : le centre paramédical et d’autres cliniques se structurent sur le discours capitaliste.
- Dans le domaine du quotidien :
Le discours capitaliste se veut être un discours du bonheur. Il promut une psychologie du bonheur : le développement personnel. Le développement personnel fait croire un Autre supposé savoir le bien et le bonheur. Cet Autre est incarné par le communicant, scientifique, expert, publiciste etc. C’est un Autre donc qui saurait pour chacun de nous, ce qu’il faut pour être heureux. C’est la sociologue E. Illouz qui explique dans son ouvrage, que le bonheur s’est mis au service des entreprises. C’est une prolifération de guide du développement personnel, des blogs, des coaching etc…qui expliquent que chacun peut et doit accéder au bonheur en travaillant sur lui-même.
Ce discours du bonheur construit un moi jouisseur. Notre moi est sollicité en permanence par des injonctions accrocheur (issus de certains magazines ou livres) à « réussir sa vie » ; « faite de votre vie un succès » ; « fait du sport pour garder la ligne » ; « bien manger » ; « bien dormir » etc. Ces livres a pour fonction de donner des outils pour façonner la vie en vue de la rendre plus efficace et plus accomplie. Elle démontre comment le capitalisme utilise, transforme et fabrique les émotions. E. Godart parle de « narcissisme social » façonné par ce discours. Pour elle, l’enjeu du narcissisme social c’est le pouvoir. Et le pouvoir est toujours du côté de la jouissance. La quête existentielle est de plus en plus remplacée par des recherches de bien être. Le surplus de jouissance escompté par le consommateur étouffe sa subjectivité.
Le discours capitaliste n'est donc pas sans conséquences sur la santé mentale. Les pathologies narcissiques, du lien et les addictions sont les effets de ce lien social. L'addiction depuis un certain nombres d'années n'a cessé de croitre et de se banaliser : addiction multiples à des produits plus nombreux : alcoolisme des jeunes, addiction à des nouvelles drogues de synthèses, addictions comportementales et addictions communes (aux écrans, aux réseaux sociaux etc...).
L'addiction est devenue un paradigme de l'évolution de notre société de consommation. Les addicts sont donc un produit du discours capitaliste. Ne retrouvons nous pas des consommateurs parfaits ? Des jouisseurs qui vont au bout de la logique capitaliste néolibérale ?
- Dans le domaine du travail (cela nécessite un autre article).
Voyons maintenant le schéma et l’analyse de ce lien social :
Expliquons le discours capitaliste :
Comme nous pouvons le voir, le discours capitaliste prend donc racine dans le discours du maitre. Sa structure se fonde sur un renversement de la partie gauche du discours du maitre : il y a une inversion entre les lettres, le $ et S1. L’autre particularité, c’est la circulation des flèches qui est différente. Toutes les places dans ce discours peuvent être atteintes. Il n’y a plus de flèche entre l’agent et l’Autre ($ et S2). La flèche de l’agent et de la vérité se trouve renversée : dans le discours du maître elle partait de la vérité pour aller vers l’agent. Dans le Discours Capitaliste, elle descend de l’agent vers la vérité. Ce renversement produit des changements sur la subjectivité mais aussi sur le discours lui-même. Inscrit dans ce discours, le sujet se voit promu à une place de maitrise. Il s’adresse, commande à la vérité. Ça vient montrer que S1 est porteur de vérité et qu'elle est donc accessible pour le sujet.
C’est à dire que dans sa toute-puissance, le sujet capitaliste (cela peut être l'enfant, vous, le manageur, le praticien, le collègue, une institution etc... ) peut produire des signifiants maitres qui sont les siens sans pour autant être assujetti à aucun. L’autre du discours serait aliéné aux signifiants du sujet. Dans le discours du maitre S1 (ostéopathe ou humoriste) représente le sujet alors que dans le discours du capitaliste le sujet n’est plus représenté par son S1, son titre professionnel. L’objet petit a, reste à la place de production comme dans le discours du maitre. L’agent de ce lien social est un « self made man » qui commande au marché d’exiger de la technoscience qu’elle fabrique des objets de consommation, des gadgets dont il est susceptible de jouir.
Ce discours peut se lire de la manière suivante : le sujet capitaliste, commande au Marché ($—>S1), en place de vérité, d’exiger de la technoscience, en place d’autre (S2) qu’elle fabrique des gadgets, des objets de consommation (S2–->a) dont le sujet peut jouir sans entrave (a—>$).
Si on reprend l’exemple concernant la santé et le soin : le sujet ostéopathe, commande au Marché de la Santé ($—>S1), en place de vérité, d’exiger des praticiens, en place d’autre (S1—>S2) de produire une patientèle (S2-->a), dont le sujet capitaliste peut jouir sans entrave. Le sujet n’est en rapport avec l’autre du savoir (S2) que pour la production de l’objet a qui assurerait la jouissance pleine : les 30% de rétrocession (l’argent) en tant que plus-de-jouir.
La spécificité du discours capitaliste est qu’il se structure sur la forclusion de la castration et le rejet « des choses de l’amour ». Cette forclusion est symbolisée par : $ —>S1. Il permet au sujet de se voir restituer l’objet a, le plus-de-jouir (a —->$). Autrement dit, il n’est plus séparé de son objet de jouissance. Ce discours à la différence des autres discours ne fait donc pas lien social parce qu’il n’y a plus d’impossible et plus d’impuissance.
Les effets du discours capitaliste
Lathouse
En exploitant le manque à être du sujet, il ne produit pas de sens. Il entraine une perte de repère, des crises identitaires. Il fait « miroiter qu’Il y aurait bien un objet capable de répondre à l’appel du sujet divisé ». Ces objets de consommation, de nos appétences, de nos émotions etc… finissent par devenir des « lathouses ». Ce terme de lathouse, Lacan le construit à partir du grec Ousia (être), Léthé (oubli) et aléthéia (vérité) pour signaler l’idée d’un oubli de la vérité du sujet de son manque à être. Chatgpt 4, les smartphones sont des exemples de lathouses, des objets définis par l’oubli de l’être. Les lathouses ne sont pas seulement des effets sociétaux mais aussi des effets subjectifs et qui s’expriment dans ce qu’on appelle les nouveaux symptômes : un impératif à jouir immédiatement, dans le « ici et maintenant ». Les lathouses sont des subjectivités standardisées, du prêt à porter. Lacan affirme que nous sommes devenus « les sujets des instruments (les gadgets) qui deviennent des éléments de notre existence ».
Le sujet dans le discours capitaliste se sert du savoir scientifique, du savoir du praticien ou encore du savoir de l'ingénieur (S2) et traite ce dernier à partir d’une valeur d’échange. Le sujet néolibéral est un « homo oeconomicus », calculateur de ses intérêts et appareillé à son plus de jouir. Il est en position de maîtrise. C’est un « entrepreneur de lui-même », il est à la fois consommateur et entrepreneur, orienté par ses propres intérêts et par ce qu’il aura à offrir et surtout à vendre (par exemple Papakatsu). Ces deux discours modernes (la science et le capitalisme) se rejoignent dans la prolifération du calcul, de la rentabilité, de la performance, de la compétitivité, qui sont favorisés dans nos sociétés.
Le discours capitaliste est-ce un discours pervers ?
L’idéologie du discours capitaliste est donc la même que dans la perversion, celle de fabriquer l’objet qui viendrait guérir le sujet de sa castration. Cette exploitation de la castration ouvre la question de la fétichisation de l’objet et sur la fétichisation de la marchandise. La fétichisation de l’objet a des incidences sur le sujet dans son rapport à l’autre. Ce dispositif dans lequel le sujet va mettre l’autre en position d’objet, afin d’en tirer sa propre jouissance. Ce fonctionnement, c’est ce que Freud et Lacan ont décrit comme étant celui de la structure perverse. Le sujet est aliéné a l’objet qu’il manipule de la même manière que le fétichiste est aliéné a l’objet fétiche pour assouvir sa jouissance. quand on est pris dans ce discours la relation ne peut être perverti. Le praticien, le patient, l'humoriste mais aussi l'ingénieur, le professeur etc... se retrouve être une marchandise.
L'humoriste inscrit dans le discours capitaliste se trouve en place d’objet a. Il est assujetti, asservit au spectateur. L’humoriste (ou youtubeur, influenceur) à partir de ce signifiant doit produire un savoir sur l’être qui le désigne mais qui bien sûr reste toujours incomplet. Il doit ainsi faire montre d’un manque qui va faire « jouir » le spectateur, mais lui même par identification en place d’agent dans ce discours. C’est le manque de l’humoriste qui est visé dans ce circuit.
En gommant, en effaçant la division du sujet ($) ce discours inverse la quête de l’humain, celle du désir. Le désir née du manque. On désir toujours ce que l'on a pas. Avec ce lien social, cela donne une illusion de complétude mais ça reste une illusion dans la mesure où le sujet est dans une quête permanente, qui se poursuit encore et encore. Le sujet, comme le dit S. Lesourd, est pris dans une aliénation radicale à l’autre.
Cette conséquence de l’absence de séparation entre le sujet et l’objet c’est celle de la réalisation du fantasme (a—>$) sous la forme inversée de la perversion (a <> $) de l’utilisation du sujet comme objet de jouissance. Ainsi l’objet peut très bien être une personne et donc un patient. En effet, le discours capitaliste en étant le lien social dominant, s’immisce dans tous les domaines de la vie. Le centre paramédical fait rentrer le patient dans la série des valeurs d’usage et d’échange. En médecine, le médecin ne dialogue plus avec le patient mais avec la maladie. L'humoriste n'est plus en relation avec ses fans mais avec l'audience.
Alors on pourrait penser que l’on rejette la technologie. Il n’en est rien, le numérique c’est formidable, la technologie c’est formidable. Nous avons un site internet, nous pouvons travailler en Visio. Nous pouvons même poursuivre le travail avec le patient dans un autre pays. C’est donc un objet fantastique. Mais ce qui nous a intéressé c’était de comprendre de quelle manière le discours capitaliste pervertit nos relations aux objets et à l'autre. De saisir les effets de ce lien social sur nos vies psychiques. Malgré la crise écologique cela n’empêche pas la production effrénée de voitures, ou d' iPhone (13, 14, 15…) etc. La philosophe E. Godart parle de « pléonexie », c’est a dire à vouloir posséder toujours plus que l’autre, toujours plus c’est a dire plus que le dernier appareil, toujours plus ce que l’on a. L’addiction n’est pas un effet de l’hypermodernité mais devenir « accro a la nouveauté » en est une. Pour E. Godart, « une des conséquences de la société de consommation et du développement technoscientifique est l’apparition d’un malaise particulier qui consiste a vouloir a tout prix la nouveauté ». Il ne s’agit plus de savoir si cela fait plaisir, si c’est utile mais d’avoir le dernier objet dernier cri. Il y a un glissement qui s’effectue : le fait d’avoir se substitue au fait d’être. La personne n’existe plus que dans l’avoir, que dans la possession. C’est "l’objet qui devient l’existence même du sujet".
Conclusion
En retour, ce sont des sujets malheureux, engloutis dans la jouissance et qui se rendent compte que ça ne va pas, que ca va même de pire en pire. Le sujet humain, pris dans ce discours, ne rencontre pas l’Autre et cherche sa vérité dans les constructions fantasmatiques : instagram, site de rencontre, influenceurs, pornographie, addiction en tout genre etc. La quête existentielle est de plus en plus remplacée par des recherches de bien-être. Le surplus de jouissance escompté par le consommateur étouffe sa subjectivité. Avec la fétichisation de la marchandise, le désir n’est plus le support du sujet. L'angoisse du patient sont fonction du discours capitaliste. Le symptôme "qui subsiste chez les patients d'aujourd'hui, c'est l'angoisse. et l'angoisse strictement liée à la pollution par cet objet, l'objet petit a, dont le défaut de séparation vient effectivement défaire les structures, et évidemment, les priver de cet accès à un Autre [...] qui serait susceptible de leur donner du souffle et de l'inspiration." (C. Melman)
Évidemment aucun sujet, aucune institution, aucune entreprise ne sont pris dans un seul discours ; bien au contraire, il s'agit toujours d'un nouage des discours, où la dominance de l'un n'empêche pas l'existence des autres. Il s'agit d'être prudent : le discours capitaliste contemporain, c'est comme le réchauffement climatique : ça s'accélère, ça s'auto-entretient et ça finit par s'auto-accélérer ; alors le niveau des eaux s'élève très vite, de plus en plus vite !
Référence bibliographique pour l'article :
Freud : Malaise dans la civilisation.
M. Foucault : Naissance de la biopolitique.
D. Dardot et C. Laval : la nouvelle raison du monde, essaie sur la société néolibérale.
G. Agamben : Qu'est ce qu'un dispositif ?
Lacan : Séminaire XVII, l'envers de la psychanalyse.
Lacan : Séminaire XX, Encore.
S. Lesourd : commentaire le sujet ? Des discours aux parlottes. La mutation de la subjectivité.
J.P Lebrun et C. Melman : L'homme sans gravité.
C. Melman : la nouvelle économie psychique
P. Bruno : Lacan passeur de Marx.
M.J Sauret : L'effet révolutionnaire du symptôme.
M.J Sauret : Malaise dans le capitalisme.
R. Gori : La fabrique de nos servitudes.
Eva Illouz : Happycratie.
D. R. Dufour : L'Individu qui vient...après le libéralisme.
E. Godart : Je selfie donc je suis.