Boire pour oublier ? Ce que l’alcool peut dire de nous
Pourquoi on boit (vraiment) ?
Boire, ce n’est pas juste consommer une substance. C’est souvent une façon de répondre à quelque chose qui déborde : une angoisse, un mal-être, un vide intérieur, une tension trop forte. Quand une personne boit beaucoup, ce n’est pas qu’elle “ne sait pas s’arrêter”. C’est qu’à un moment de sa vie, l’alcool est devenu une solution. Une réponse inventée — parfois tôt, parfois à la va-vite — pour tenir debout.
Le symptôme, ce n’est pas l’ennemi
En psychanalyse, on ne voit pas le symptôme comme un simple “problème à éliminer”. On le considère comme un message du sujet. Le symptôme — ici, boire — dit quelque chose d’une histoire, d’un rapport au corps, au manque, au désir, à l’Autre. Il parle à la place du sujet, parfois depuis très longtemps.
Plutôt que de le faire taire, on peut apprendre à l’écouter, à le lire autrement. Le symptôme est une invention du sujet, souvent inconsciente. Il a une fonction : il protège, il organise, il masque ou il révèle.
Apprendre à s’en servir
Ce que propose une démarche analytique, ce n’est pas “faire disparaître le symptôme” à tout prix. C’est apprendre à s’en servir autrement. Plutôt que d’être pris par lui, on peut se dégager un peu de son emprise, et parfois même en faire un appui subjectif, une boussole. Cela ne veut pas dire “le garder” tel quel, mais le faire bouger, le travailler, pour qu’il ne soit plus un poids, mais un point de départ.
Boire n’est jamais un hasard. Ça a une logique, une fonction, un moment. Comprendre ça, c’est déjà reprendre la main sur ce qui semblait nous échapper.
S’identifier à son symptôme ?
On entend parfois : “je suis alcoolique”. Mais cette phrase enferme. Car le symptôme ne dit pas tout d’une personne. Il ne la résume pas. Mais il fait partie de son histoire, de son économie psychique. Plutôt que de s’en désolidariser complètement (“je ne veux plus jamais en entendre parler”), il peut être précieux de s’approprier ce symptôme, de l’interroger :
“Qu’est-ce que ça a voulu dire pour moi, de boire ? Qu’est-ce que j’y cherchais ?”
Il ne s’agit pas de s’identifier au symptôme pour s’y enfermer, mais pour l’intégrer à son récit, pour reconnaître qu’il a été là pour quelque chose, et ainsi trouver une autre façon d’exister.
Repérer son mode de jouir
Ce que Lacan appelle “la jouissance”, ce n’est pas simplement le plaisir. C’est ce qui dépasse le plaisir, ce qui s’impose au corps, parfois jusqu’à la douleur. L’alcool peut donner accès à une jouissance spécifique : une sensation de relâchement, d’abandon, de suspension du monde. On y cherche une paix, mais parfois c’est un excès qui envahit, abîme, isole.
Chacun a son mode de jouir, sa façon d’entrer en rapport avec son corps et le monde. Reconnaitre ça, c’est une étape précieuse :
“Qu’est-ce que l’alcool m’apporte, là où rien d’autre ne semble marcher ? Qu’est-ce que ça me permet de sentir, ou d’oublier ?”
Repérer ce mode de jouir, c’est ouvrir la possibilité de le déplacer, le transformer, plutôt que de le subir.
Et maintenant ?
Parler de tout cela, ce n’est pas chercher une cause unique, ni une “solution miracle”. Mais c’est déjà sortir de l’isolement du symptôme. C’est faire un premier pas vers un lien où quelqu’un écoute sans juger, sans donner d’ordre, sans réduire le sujet à un diagnostic.
Ce n’est pas facile. Mais c’est possible. On peut apprendre à vivre autrement que sous l’emprise. Et ça commence parfois simplement par :
“Je voudrais comprendre pourquoi je bois, et ce que ça me fait.”
En bref
Boire trop n’est pas un simple excès. C’est souvent une réponse inventée à une souffrance, un vide ou une angoisse. Le symptôme peut être transformé s’il est entendu dans ce qu’il cherche à dire. On peut apprendre à faire avec, à en sortir non pas par force, mais par parole.
Parler, c’est déjà un geste de soin. Et parfois, c’est ce qui permet d’inventer autre chose.