Le corps occupe une place importante dans notre époque. Il est devenu un objet central dans la parole des hommes et des femmes. Son image, notamment, doit être sur investit. Le corps est pris part les injonctions du surmoi collectif où il faut se présenter sous son meilleurs jours, bien s’habiller, se maquiller, paraître en bonne santé, faire attention à son alimentation, faire du sport. En effet, « le corps doit être maitrisé et s’exhiber comme un phallus bien vivant. Une énorme industrie se préoccupe de l’apparence, qu’il s’agisse de la mode, de la beauté, ou de la forme physique et du bien-être » (Helène Bonnaud).
On retrouve dans cette prolifération de l’image que véhicule notre époque, un versant idéal et son envers, celui de l’angoisse. Pour rappel, l’angoisse comme manifestation et affect s’éprouve dans le corps.
Que nous enseigne la psychanalyse de cette collision de l’angoisse et du corps ? Si la psychanalyse porte un intérêt à l’inconscient de l’être humain et du sens des symptômes, elle s’intéresse particulièrement au corps. Le patient "parle avec son corps, et ceci sans le savoir. Il dit donc toujours plus que ce qu’il en sait" (J. Lacan).
Il peut m’arriver de recevoir des demandes concernant la question du corps et du désir féminin chez les femmes. L’image du corps pour les femmes les préoccupe dans leurs vies quotidiennes. Et il arrive qu’au cours d’une analyse que le corps prend place dans le discours d’une patiente. Que son corps la questionne, l’interroge (par exemple l’angoisse d’être enceinte, la grossesse, le désir pour un autre homme).
Contrairement à la philosophie qui sépare l’esprit et le corps, la psychanalyse non seulement ne les oppose pas mais les nouent ensemble. La psychanalyse est une expérience qui se fonde sur la parole. Parole du patient qui repose sur la règle, la libre association. Le patient est invité à dire tout ce qui lui vient à l’esprit. Cette manière de mettre au travail la parole, surprend la patiente qui parle. Le corps, lui, est allongé sur le divan. A la différence du face à face, le corps est de ce fait détaché, désaliéné du regard de l’Autre. La libre association est une manière de lâcher le contrôle de ce que l’on dit, de ne pas se censurer. C’est un travail psychique qui n’est pas facile. C’est une expérience qui bouscule et étonne quand on perçoit que ce que l’on dit fait sens avec ce que l’on ne savait pas.
Le corps ce fait le lieu des symptômes qui viennent se greffer sur lui. Le symptôme (anorexie, phobie, somatisation out etc…) passe donc par le corps, il l’emprisonne, l’empêche, le paralyse, lui interdit de jouir « normalement » de lui et de la vie.
La psychanalyse fait découvrir au patient que le corps est marquée par les mots. Non seulement le corps est imprégné de mots mais il réagit aux mots, qu’il soit prononcés par l’Autre ou pensé par le patient lui-même. Les mots ne font pas que de décrire, de démontrer mais ils touchent, bouleversent, blessent. Le corps sert de lieu d’expression pour l’inconscient pour traiter ce qui ne peut se dire. Il se sert du corps pour dire ce qui n’a pu se dire.
Pour la psychanalyse, ce corps devient corps parlant. Je vais exprimer un certain nombre de chose sur le corps. Par exemple quand je m’habille je porte sur ce corps un certain type de vêtement. Parce que je vais vouloir apparaitre à l’autre dans ce corps avec un langage. Un langage que je construis pour aller vers l’autre. Ici le corps va me servir de support pour pouvoir m’adresser à l’autre. J’arrive avec telle robe, tel manière de m’habiller, avec une cravate ou pas de cravate. Puis avec une coiffure longue ou bien courte. Des cheveux attachés ou pas attachés. En fin de compte, je fais signifier à travers mon corps ma présence que j’ai vis-à-vis de l’autre. Donc par exemple quand vous arriver à un rendez-vous, vous êtes porteur, avant même de parler, de tout une série de signe. Il est barbue, il porte des lunettes, elle est maquillé etc…Et déjà cela fait que je suis signifiant pour vous de par les habits que j’ai choisi. Ces mêmes vêtements peuvent d’ailleurs me désigner dans la manière dont je me tiens par rapport à l’autre. Par exemple si mes habits sont couverts ou au contraire si mes habits sont plutôt découverts. On emmène donc un certain nombre de signe par rapport à la manière dont je me présente à l’autre.
Mais de temps en temps ce corps, il se met à parler à mon insu. Il vient là m’exprimer un certain nombre de chose dont je n’entends pas très bien, comme par exemple « j’ai mal au ventre », « j’ai le vertige » ou bien « j’en ai plein le dos ». Des choses comme ça, qui apparaissent et dans lequel ce corps devient corps parlant. On peut par exemple dire « ah je n’ai vraiment pas digérer ce qu’il m’a dit » et que justement, j’ai un mal de ventre terrible dans le même espace et que je n’entends pas ce moment-là. Ce « je n’ai pas vraiment digérer ce qu’il m’a dit » et bien le corps il est en train de le parler. C’est-à-dire que j’ai un corps qui devient parlant autour de cela. On voit bien que la métaphorisation, c’est-à-dire la capacité qu’à le langage à me faire entendre quelque chose du corps, nous permet quelques fois dans les expressions courante de venir repérer comment ce corps parle.
Le corps vient et parle quand justement le langage n’arrive pas à dire les choses. Le corps peut prendre le relais à partir du moment où je suis dans la surdité de l’Autre pour dire ce qui ne peut pas se dire autrement. Le travail analytique d’ailleurs, très souvent, se sera de restituer une oreille qui va pouvoir justement entendre cette chose qui n’arrive pas à ce dire. L’analyse va permettre d’élaborer un discours pour pouvoir dire ce qui ne pouvait pas se dire. En disant, en parlant, on évite que cela soit le corps qui parle, on évite qu’il souffre. Il arrive que certaines femmes se plaignent ou parlent de leurs douleurs prémenstruelles. Prenons un exemple dans le livre de D. Flaumenbaum. Dans son livre « Femme désirée, femme désirante », la gynécologue relate une patiente qui souffre d’une mycose. La patiente relate qu’elle a fait une rencontre. L’homme lui plait, ils sont des points en commun. La gynécologue, souhaite en apprendre un peu plus sur sa patiente et lui demande la première fois où elle a eu des mycoses. La patiente, lui explique que c’était en vacance, chez sa grand-mère. Elle avait 13 ans et venait d’avoir ses règles, « j’ai eu mal au ventre, j’étais au courant. Ma mère m’avait prévenue. Elle disait qu’elle ne voulait pas faire comme sa propre mère qui ne lui avait rien dit, ça l’avait choquée, elle n’avait osé en parlée à personne. » Concernant sa sexualité, la patiente explique elle a été déçue malgré qu’elle avait choisi le garçon. Elle c’était imaginé autre chose. Ses parents de parler de sexualité. Sa mère voit le sexe comme une fatalité. Elle lui disait que « des femmes sont « portés » dessus et d’autres pas. » Son père aucun mot dessus. Plus tôt en silencieux. Elle raconte que quand à la télé il y avait une scène d’amour, sa grand-mère « ne pouvait s’empêcher de persifler et de dire que c’était dégoûtant ».
La gynécologue lui explique que son « corps exprime une impossibilité à vivre la sexualité, un interdit de jouir qui a été posé par cette grand-mère. C’est cet interdit qui a rendu votre mère frigide et qui, chez vous, s’exprime dans ces mycoses à répétition. » Le « dégoût » de la grand-mère pour la sexualité fait trace et empêche la patiente de vivre pleinement sa sexualité avec l’homme qu’elle aime. Nous voyons donc que le symptôme qui est une défense contre les représentations refoulées (les questionnements que soulève la scène d’amour à la télé) permet à l’être humain de ne pas se confronter à un conflit psychique. Le symptôme va se déplacer sur le corps. Ce corps parle avec sa langue propre, sa langue maternelle, trace laissée par les sons de la langue maternelle dans le corps. La mycose exprime le refus du corps féminin sexué. C’est-à-dire que la patiente adulte est restée dans une position de fille sans pouvoir muter au statut de femme. Les dires de la grands mère sur la sexualité s’inscrit dans le corps, le sexe de cette patiente. Et la rencontre avec cet homme vient ravivez la question du corps et du désir féminin.
Lorsque l’on vient en analyse, c’est parce que nous avons une souffrance, quelque chose qui ne va pas, qui insite, qui se répète, sans que l’on comprenne comment ni pourquoi. Pour la psychanalyse, le symptôme du patient à un sens et qu’il est à chercher dans l’histoire de la personne. Et comme nous avons pu voir dans les exemples, le corps est pris dans les mots qui gouvernent l’histoire de la personne. Ces exemples sont là pour montrer la fonction du symptôme qui vient déranger, perturbé, interpeller la personne. Le symptôme c’est donc le nouage des mots et du corps.
Durant une psychanalyse, les patients sont amenés à découvrir comment certaines paroles proférés par l’Autre (la patiente de la gynécologue avec la grand-mère) ont agit sur son corps. Le savoir que récupère la patiente en analyse libère le désir. Du fait de se délivrer de ce qui était refoulé (la sexualité), le désir cesse d’être entravé.
Pour la psychanalyse, si chaque sujet a un corps, la façon dont il en parle est toujours à entendre comme la façon dont il s’en sert ou n’arrive pas à s’en servir dans son lien a l’Autre.