Quand l’inconscient se met en scène
Un rêve personnel, comme point de départ
Dans ce qui suit, je choisis de m’appuyer sur un rêve que j’ai moi-même fait. Non pour parler de moi, ni pour exposer une vie privée, mais pour illustrer comment un rêve peut faire travail lorsqu’il est pris au sérieux dans une démarche analytique.
Ce rêve n’est ni exemplaire ni universel. Il est singulier, comme tout rêve. Mais il met en jeu, comme beaucoup d’autres, une scène intérieure, une émotion forte, une mémoire inconsciente — et il peut aider à comprendre ce que fait un rêve en psychanalyse.
Le rêve : la fille sans jambes
“J’ai rêvé que ma fille était handicapée (alors qu'elle ne l'ait pas dans la réalité). Elle n’avait que le buste, aucune partie basse du corps. Je pleurais, j’étais effondré. Je disais que je ne pourrai pas être père, que c’était trop dur. Pourtant, ma fille souriait, elle avait l’air heureuse… et elle courait, alors qu’elle n’avait pas de jambes.”
À mon réveil, j’ai pensé au film Kenny de Claude Gagnon, que j’avais vu enfant. Ce film m’avait dérangé, marqué, sans doute trop tôt. Il met en scène un enfant sans jambes, heureux malgré tout. Le lien s’est fait dans le rêve, sans que je l’aie consciemment convoqué.
Une scène à plusieurs niveaux
Ce rêve ne livre pas un “message”. Il met en scène une contradiction intérieure : un désir (être père), une angoisse (ne pas être à la hauteur), une image de mutilation, et en même temps une vitalité, une joie, une vie possible malgré tout.
Quelques pistes d’interprétation, à entendre dans une cure :
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L’image de l’enfant sans jambes peut symboliser une part manquante, une crainte de ne pas pouvoir transmettre quelque chose de complet.
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Le cri de détresse (“je ne pourrai pas être père”) dit une expérience de castration : une impuissance subjective face à une fonction.
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Et pourtant… l’enfant court, sourit. Ce rêve, au fond, n’est pas seulement tragique : il parle aussi de résilience, d’incomplétude assumée, de vie possible depuis le manque.
Pour conclure : une traversée du manque, vers le désir
Ce rêve met en scène ce que la psychanalyse appelle la castration — non comme mutilation, mais comme condition de tout désir possible. Être “castré”, c’est reconnaître qu’on n’est pas tout, qu’on ne peut pas tout, qu’on est traversé par un manque. Et c’est depuis ce lieu-là que le désir peut se frayer un chemin.
Dans ce rêve, la fille sans jambes court, sourit, vit. Elle incarne ce paradoxe essentiel : marquée par un manque, mais animée par un mouvement propre. Et peut-être que le rêve, en miroir, rappelle que la fonction du père n’est pas d’être parfait, ni de garantir l'intégrité du monde pour son enfant. Mais de faire place au désir de l’enfant, en acceptant lui-même de ne pas tout garantir, de ne pas tout combler, de ne pas tout réparer, pour que l'enfant puisse exister - malgré, ou grâce au manque. Cela peut faire pleurer. Mais cela ouvre aussi un espace de transmission, vivant.
Le rêve comme voie d’accès à l’inconscient
Ce que la psychanalyse appelle “accomplissement de désir”, ce n’est pas un souhait conscient qui se réaliserait pendant le sommeil. C’est le retour déguisé d’un désir refoulé, qui trouve un chemin dans la fiction onirique.
Le rêve ne dit pas ce que je veux. Il met en scène ce que je ne sais pas que je veux, ou ce que je redoute de vouloir. Il joue une vérité, plutôt qu’il ne l’énonce.
Que fait-on des rêves en analyse ?
On les raconte. On les laisse faire retour. On écoute les associations qu’ils provoquent : souvenirs, mots, affects, résistances.
L’analyste n’interprète pas comme on décrypte un code, mais écoute ce qui, dans la parole du rêveur, insiste, se dérobe, revient.
Ce n’est pas le rêve “en soi” qui compte, mais le rapport du sujet à ce rêve.
En résumé
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Le rêve est une mise en scène déguisée du désir inconscient.
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Il mêle souvenirs, affects, contradictions et images inattendues.
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Il ne livre pas une vérité brute, mais une vérité subjective à entendre dans la parole.
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En psychanalyse, le rêve est un matériau vivant, et parfois bouleversant, qui permet d’ouvrir un travail là où la logique échoue.