La psychothérapie et la psychanalyse sont parfois perçues comme abstraites. Les vignettes cliniques présentées ici sont entièrement anonymisées et transformées afin de garantir l’impossibilité de toute identification. Elles sont proposées comme des illustrations destinées à éclairer le travail psychothérapeutique et psychanalytique, rédigées dans le respect du Code de déontologie des psychologues. Pour préserver ce cadre, seules cinq vignettes cliniques (dépression, burn-out, phobie, angoisse et alcool) sont présentées.

 

Introduction


Certaines angoisses paraissaient très concrètes : démarches à la mairie, formulaires à remplir, papiers officiels à fournir. Mais derrière la peur d’un guichet ou d’un tampon, il y avait parfois une question beaucoup plus profonde.

Une patiente, installée depuis de longues années à l’étranger, vivait chaque interaction avec l’administration comme une épreuve insurmontable. Elle redoutait d’être considérée comme illégitime et de perdre soudain la stabilité de sa vie.

En séance, elle avait déjà évoqué un souvenir marquant de son adolescence : lors du divorce de ses parents, son beau-père lui avait demandé de mentir devant un juge, et tenté de lui faire changer de nom. Elle avait résisté, mais cette scène l’avait profondément marquée : la possibilité d’être effacée, de perdre son inscription symbolique. Plus tard, une situation administrative lui avait montré qu’elle n’apparaissait pas dans un registre officiel. Elle avait confié que cela lui avait donné le sentiment de “ne pas exister”. Même dans son enfance, elle avait déjà fait l’expérience qu’une parole de vérité pouvait être intolérable : inquiète de l’absence de son père, elle avait osé prévenir sa mère — ce qui avait déclenché une violente dispute. Comme si dire la vérité avait été interdit, et qu’elle aurait dû se taire ou travestir les faits.
    

Une scène avec une connaissance

Cette problématique d’inscription symbolique ne se rejouait pas seulement face aux entreprises, mais aussi dans les échanges du quotidien. Elle avait raconté une conversation avec une connaissance, où la question de l’identité nationale et des appartenances culturelles était venue sur le tapis.
Dans ce dialogue, l’autre affirmait avec assurance son identité (“je suis X”), là où la patiente restait troublée par ce choix catégorique. Pour elle, il paraissait impossible de comprendre comment quelqu’un pouvait se définir aussi clairement, sans nuance ni hésitation. Je lui avais alors fait remarquer que cette affirmation n’était pas “vraie” ou “fausse” en soi : c’était une réalité psychique, une parole par laquelle l’autre choisissait de se définir. Et c’était précisément cela qui la déstabilisait : elle-même n’avait pas une telle inscription symbolique stable. Là où l’autre affirmait sans hésiter son appartenance, elle se retrouvait renvoyée à son angoisse de disparaître, à son rapport incertain au monde et à la reconnaissance.

 

Angoisse et trauma


On pouvait dire qu’il y avait chez elle une angoisse de désinscription, qui se déclenchait dès que l’Autre institutionnel agissait comme si elle était inexistante ou illégitime.
En psychanalyse, on appelait trauma une expérience qui laissait une trace durable, qui débordait la capacité de la personne à l’intégrer sur le moment. Des années plus tard, cette trace pouvait se réveiller à travers des angoisses. L’angoisse agissait alors comme un signal : elle surgissait quand quelque chose du trauma menaçait de revenir, et elle le recouvrait en le déplaçant sur une autre scène.
Chez cette patiente, ce trauma était réactivé par :
•    un mensonge imposé dans l’enfance,
•    une tentative de changement de nom, vécue comme un risque d’effacement du lien paternel,
•    une arrivée dans un pays étranger, marquée par le sentiment d’être toujours “en marge”, jamais complètement inscrite.
Ses angoisses (face à certaines démarches ou documents administratifs) recouvraient ce noyau traumatique. Au lieu de se souvenir directement de ces scènes anciennes, elle vivait la peur plus concrète d’un papier manquant ou d’un refus officiel, qui actualisait en fait la même question : « Ai-je une place ? Suis-je reconnue ? ».

 

Le parcours professionnel qui se dérobait


Cette angoisse se manifestait aussi sur le plan professionnel. Lorsqu’on lui demandait parfois son CV, elle racontait qu’elle ne parvenait plus à se souvenir des dates exactes de ses expériences. Comme si même l’inscription temporelle de son parcours lui échappait. Cet effacement des repères chronologiques faisait écho à la même question : « Ai-je une histoire à inscrire ? ».

 

Une issue par la création


Mais cette patiente avait aussi trouvé une voie pour transformer cette angoisse : l’écriture et le dessin. Elle expliquait qu’elle ne pouvait pas “décider” de créer, mais qu’il lui fallait “s’absenter” pour qu’un texte ou une image surgisse. C’était dans cet espace de retrait qu’apparaissait quelque chose de neuf : poèmes, dessins, réflexions.
Elle en avait trouvé une formulation chez un philosophe francophone, qui parlait dans un de ses ouvrages du “délire” comme d’un processus permettant de tracer ses propres lignes, au-delà des cadres établis. Ainsi, là où autrefois elle craignait de disparaître des registres officiels, elle inventait une autre forme d’inscription : symbolique, créative, singulière.


La psychanalyse avait permis ce passage : transformer une angoisse d’effacement en une capacité à inscrire son existence autrement, dans la parole, l’écriture ou la création. C’était ce que Freud appelait la sublimation : un déplacement de la souffrance vers une forme de création qui donnait une place nouvelle au patient.