La psychothérapie et la psychanalyse sont parfois perçues comme abstraites. Les vignettes cliniques présentées ici sont entièrement anonymisées et transformées afin de garantir l’impossibilité de toute identification. Elles sont proposées comme des illustrations destinées à éclairer le travail psychothérapeutique et psychanalytique, rédigées dans le respect du Code de déontologie des psychologues. Pour préserver ce cadre, seules cinq vignettes cliniques (dépression, burn-out, phobie, angoisse et alcool) sont présentées.

 

Introduction

Je reçois une femme venue consulter pour un burn-out. Elle avait choisi de travailler dans un pays étranger pour enrichir son parcours et développer sa carrière. Mais après plusieurs mois, elle s’est retrouvée épuisée, prise dans une organisation défaillante et une relation hiérarchique difficile.

 

Le burn out et la reconnaissance institutionnelle

Lorsque j’accompagne un patient en arrêt de travail, je souligne souvent qu’il est important que le médecin mentionne « burn-out » plutôt que « dépression ». Ces deux termes n’ont pas la même portée :

  • dépression renvoie à une souffrance individuelle,

  • burn-out implique aussi une responsabilité de l’organisation.

Or, dans ce pays, le burn-out n’est pas reconnu : le diagnostic posé est celui de « dépression ». Ce choix sémantique déplace la responsabilité uniquement du côté du patient et empêche l’entreprise de se remettre en cause.

 

La relation au travail et à la hiérarchie

La patiente décrivait une supérieure hiérarchique désorganisée, lui demandant parfois de répéter ce qui avait déjà été transmis par écrit. Elle investissait beaucoup d’affect dans son travail, comme si la relation avec sa chef avait quelque chose d’une relation mère-fille : vouloir plaire, obtenir validation, être reconnue.

Après son burn-out, elle avait retrouvé un certain équilibre : respect d’horaires plus stables, reprise d’activités personnelles (cinéma, sport, sorties), discussions plus posées avec sa responsable, délégation d’une partie des tâches. Elle allait mieux.

Mais quelques mois plus tard, sa supérieure démissionne. La patiente se retrouve à assumer une partie de ses missions, tout en devant collaborer avec une prestataire externe. La relation est tendue : elle doit sans cesse répéter, expliquer, corriger — au prix de son propre temps et de son énergie.

 

L’acte manqué : fouiner dans les factures

Un jour, elle raconte avoir « fouiné » dans les factures et découvert que sa collègue avait déclaré un nombre d’heures supplémentaires qu’elle jugeait excessif. Elle s'en veut : « Je n’aurais pas dû regarder. »

Je lui demande alors : « Plutôt que de vous en vouloir, comment comprenez-vous votre acte manqué ? » Elle ne sait pas vraiment répondre. Mais elle ajoute qu’elle voyait souvent cette collègue rester sur place après son départ, ou présente lors de ses réunions, sans en comprendre la raison. C’est seulement après coup que l’acte manqué du “fouiner” a surgi, comme si quelque chose avait enfin trouvé à s’exprimer.

Cet acte est révélateur : derrière son épuisement se cache un sentiment profond d’injustice, lié au fait de porter une charge disproportionnée sans reconnaissance claire.

Je ponctue alors la séance par une interprétation :
« En allant regarder cette facture, vous montrez bien qu’on prélève votre temps et vos efforts sans reconnaissance – que ce soit l’entreprise ou cette collaboratrice. Peut-être que la vraie question est de savoir où vous voulez mettre votre énergie : continuer à nourrir une organisation injuste, ou bien la transformer ailleurs. »

 

Le bouc émissaire et le faux-semblant des remerciements

Peu à peu, la patiente dit qu’elle « ne supporte plus » cette collègue prestataire, tout en reconnaissant qu’elle fonctionne comme un bouc émissaire. Ce qui est insupportable pour elle, ce n’est pas seulement la collègue, mais la place dans laquelle elle est elle-même coincée : responsable sans statut officiel. Ses supérieurs la remercient, mais leurs paroles sonnent faux, car les conditions de travail ne changent pas.

 

La question de la nomination

Un élément central est apparu : la patiente a demandé à être officiellement nommée manageuse. Ce titre lui permettrait d’avoir l’autorité nécessaire pour donner des consignes claires à la prestataire et assumer sa fonction de manière reconnue. Mais au moment où la nomination semble possible, elle hésite.

La psychanalyse nous aide ici à comprendre ce qui se joue. Une nomination n’est pas qu’un simple titre administratif : c’est un acte symbolique. Être nommé, c’est exister dans une place reconnue par l’Autre — l’institution, la hiérarchie. Sans nomination, on occupe une fonction dans les faits, mais sans légitimité : on travaille, on porte, mais on n’est pas reconnu. C’est une place impossible, génératrice de souffrance.

Son hésitation face à la nomination révèle une ambivalence inconsciente : d’un côté, elle désire être reconnue ; de l’autre, cette reconnaissance l’expose à de nouvelles attentes et responsabilités. Entre désir et crainte, elle vacille.

 

Le bonus différé et l’oubli du paiement

Elle confie que ce qui la fait tenir, c’est la perspective d’un bonus… mais seulement à long terme, bien plus tard dans l’année suivante. Cette promesse fonctionne comme un soutien imaginaire : une récompense future qui maintient un minimum de motivation, sans résoudre la question symbolique actuelle.

Dans une séance, elle oublie de payer. Quand je lui en fais part, elle rectifie aussitôt. Cet acte manqué, loin d’être anodin, prend sens à la lumière de son histoire professionnelle : cette entreprise, qu’elle connaît depuis ses débuts en France puis à l’étranger, n’est pas seulement un lieu de travail. C’est aussi un cadre d’inscription symbolique : c’est là qu’elle est entrée dans le monde professionnel, qu’elle a grandi, qu’elle a fait ses preuves. Autrement dit, c’est « l’Autre » qui lui a donné une place. Quitter cette entreprise, c’est donc bien plus que changer de poste : c’est se séparer d’un Autre fondateur. On comprend que cela soit à la fois désirable (elle en souffre) et redouté (angoisse de perdre sa place).

Oublier de payer peut alors se lire comme une mise en scène inconsciente de séparation : « je ne leur dois plus rien ». Comme si, après des années à donner sans retour suffisant, elle s’autorisait enfin à rompre ce lien de dette. Cet acte traduit son désir de se libérer d’un Autre qui l’a portée, mais qui ne la reconnaît plus.

Dans le cadre thérapeutique, ce geste prend une autre valeur : il met à l’épreuve la possibilité de se séparer tout en maintenant un lien. Là où quitter l’entreprise signifierait une rupture définitive, la psychanalyse lui offre la possibilité de rejouer ce « ne rien devoir » sans que la relation se brise.

 

Conclusion

Cette thérapie illustre que le burn out ne se réduit pas à une surcharge de travail. Il met en jeu des dynamiques inconscientes profondes : un idéal élevé, un besoin de reconnaissance, une relation transférentielle à la hiérarchie, et surtout la question de la nomination symbolique.
Sans nomination claire, la patiente reste dans un entre-deux : responsable sans statut, reconnue en paroles mais pas en acte. C’est cette place impossible qui alimente l’épuisement et le sentiment d’injustice. L’acte manqué (fouiner dans les factures, oublier le paiement) révèle, dans l’inconscient, cette tension autour de la valeur, de la dette et de la reconnaissance.

Cette vignette illustre que le travail analytique est vivant et en mouvement. Au fil des séances, à travers les mots, les actes manqués, lapsus et les associations, le patient construit peu à peu un savoir singulier sur sa propre histoire, sur ce qui le fait souffrir et sur ce qu’il désire.