La psychothérapie et la psychanalyse sont parfois perçues comme abstraites. Les exemples thérapeutiques présentées ici sont entièrement anonymisées et transformées afin de garantir l’impossibilité de toute identification. Elles sont proposées comme des illustrations destinées à éclairer le travail psychothérapeutique et psychanalytique, rédigées dans le respect du Code de déontologie des psychologues.

Introduction

Il arrive qu’un symptôme corporel surgisse là où la parole bute, comme si le corps prenait en charge ce qui ne pouvait pas encore être dit. C’est ce qui s’était produit pour une patiente ayant consulté après une agression sexuelle. Elle avait porté plainte, mais l’enquête n’avait pas abouti, renforçant un sentiment d’injustice et de colère.

1. L’après-coup du trauma

Quelques mois plus tard, l’agresseur l’avait recontactée par message. Cette intrusion ravivait brutalement l’expérience traumatique, laissant un mélange d’effroi et de rage impuissante. Elle tentait de poursuivre sa vie, notamment dans sa relation de couple où elle se disait respectée et en sécurité. Mais en août, elle constata qu’elle n’avait plus ses règles.

2. Le surgissement du symptôme corporel

Son premier réflexe avait été d’attribuer cette aménorrhée à son rythme professionnel, des horaires irréguliers. Pourtant, ce trouble n’était pas anodin : il marquait une rupture dans le cycle féminin, une suspension de la possibilité même d’une grossesse. Comme si, face à la menace réveillée par le trauma, son corps avait trouvé une solution défensive : arrêter le temps, mettre entre parenthèses la féminité.

3. Le corps comme lieu de défense

Le symptôme corporel se présentait ici comme une défense contre l’angoisse. Là où le souvenir traumatique menaçait de revenir, le corps se chargeait de dire l’indicible. Ne pas saigner, ne pas enfanter : c’était une manière inconsciente de se protéger d’une féminité vécue comme dangereuse, d’un féminin lié à la menace et au risque d’effraction.

4. Le travail analytique et l’histoire familiale

Le travail en séance avait permis de déplacer la compréhension de son symptôme. L’aménorrhée n’était pas seulement un dérèglement biologique ou l’effet d’horaires de nuit, mais une mise en scène corporelle de son histoire. Elle traduisait à la fois la défense contre l’angoisse liée au trauma sexuel, et la réactivation d’un fond plus ancien : une féminité souvent dévalorisée par sa famille. Son père avait critiqué son poids, une tante s’était moquée de ses cheveux — autant de remarques blessantes qui avaient marqué son rapport au corps comme fragile, inadéquat, exposé.

Le travail thérapeutique lui avait ainsi permis non seulement de traiter les séquelles de l’agression, mais aussi de revisiter ces blessures anciennes. Là où son corps avait longtemps été l’objet de critiques et de menaces, il pouvait devenir peu à peu un lieu possible de désir et de créativité.

C’est précisément dans ce contexte qu’une interprétation en séance a produit un effet immédiat et tangible sur son corps.

5. Quand l’interprétation fait bouger le corps

Le lendemain d’une interprétation en séance, la patiente a vu revenir ses menstruations après plusieurs mois d’aménorrhée. Ce retour du cycle n’est pas seulement un événement biologique : il s’inscrit dans la continuité du travail analytique. L’interprétation avait relié son aménorrhée à la reprise de contacte de l'agresseur pour un rendez-vous.  Ce message a suscité une vive colère : non seulement il ne reconnaissait pas la gravité de ce qu’il avait fait, mais il se comportait comme si de rien n’était. Cet après-coup (quelques jours après) a ravivé le trauma et trouvé une traduction corporelle : l’arrêt du cycle menstruel. Le corps a pris en charge ce que les mots ne pouvaient pas encore symboliser.

Dans la même séance, la patiente est arrivée avec un sac rempli de vêtements devenus trop grands après sa perte de poids. Parler de ces vêtements, c’était déjà parler d’elle-même : du corps transformé, de l’image qu’elle voulait donner, de la féminité qu’elle redécouvrait. Les vêtements sont comme une seconde peau, une enveloppe symbolique. Les changer, c’est aussi se réinscrire comme femme, non plus seulement comme victime d’une agression, mais comme sujet de son désir, choisissant une nouvelle silhouette et une nouvelle manière d’exister.

Conclusion

L’aménorrhée s’était révélée non comme une simple absence de règles, mais comme un langage du corps. Dans l’espace analytique, ce symptôme trouvait une autre valeur : il devenait une porte d’entrée vers la question du féminin, de la féminité et de ce que signifie « être femme » après l’expérience traumatique.
La psychanalyse permettait ainsi de transformer un arrêt corporel en ouverture symbolique : du silence du corps à une parole singulière, en quête d’inscription et de sens. C’était aussi l’occasion, pour la patiente, de commencer à élaborer un savoir singulier sur ce que signifie pour elle être femme.

 

Alexis Dazy,

Psychologue, psychanalyste à Tokyo