La psychothérapie et la psychanalyse sont parfois perçues comme abstraites. Les vignettes cliniques présentées ici sont entièrement anonymisées et transformées afin de garantir l’impossibilité de toute identification. Elles sont proposées comme des illustrations destinées à éclairer le travail psychothérapeutique et psychanalytique, rédigées dans le respect du Code de déontologie des psychologues. Pour préserver ce cadre, seules cinq vignettes cliniques (dépression, burn-out, phobie, angoisse et alcool) sont présentées.

 

Introduction

Dans le travail analytique, il arrive que certains signifiants reviennent avec insistance, comme des éclats de vérité masquée. Le signifiant infidélité, dans le cas qui suit, n’est pas simplement rattaché à un événement douloureux ou à une histoire conjugale, mais il semble occuper une place organisatrice dans la vie psychique du patient. Il oriente sa lecture du monde, colore ses affects, et soutient un mode de relation répétitif à l’Autre.

À partir d’une vignette clinique, je souhaite montrer comment une dépression réactionnelle, à la suite d’une infidélité et d’un divorce, révèle en arrière-plan le fantasme fondamental, perceptible non pas dans le discours manifeste du patient mais dans les scènes qu'il répète, les positions qu'il occupe et les pertes de place qu'il subit. Le fantasme fondamental c’est le scénario inconscient qui structure ou organise notre vie psychique : notre rapport au monde, aux autres et a notre propre désir. Au cours d’une psychanalyse le patient va traverser son fantasme fondamental afin de le modifier et de sortir des répétitions et des impasses et d'autre part se façonner une manière d'exister.

 

1.  Deux femmes, deux infidélités, un même scénario

Le patient, un homme, consulte pour une dépression réactionnelle à un divorce.

On parle de dépression réactionnelle lorsqu’un état dépressif survient après un événement marquant : séparation, deuil, échec professionnel… C’est son cas : il est profondément déstabilisé par la perte amoureuse, mais aussi par le doute sur sa valeur et sa place. Ce n’est pas sa première séparation : il avait déjà vécu, des années plus tôt, un divorce à la suite d’une infidélité.

Ce que permet la psychanalyse, c’est d’aller au-delà de l’événement visible. Le travail analytique ne se limite pas à soulager un symptôme : il ouvre un chemin vers ce qui se répète, vers nos scénarios inconscients, parfois jusqu’à ce que l’on appelle en psychanalyse le fantasme fondamental.

Le patient ne le nomme pas ainsi, mais en revenant séance après séance sur ce qu’il vit et ressent, il découvre comment une même scène semble se rejouer, sous différentes formes. Non pas « seulement » une dépression, mais la répétition d’une perte qui prend toujours la même allure.

Dans les deux cas, ses conjointes sont parties avec des hommes qui lui étaient familiers : d’abord un proche de son cercle amical, puis une personne de son entourage professionnel, présente dans sa vie quotidienne. La rupture a donc produit un double effondrement : affectif et symbolique.

En séance, il rapporte une scène récente : un collègue a organisé une rencontre professionnelle avec un client et d’autres collaborateurs, sans l’inviter. Il dit alors : « On ne fait pas ça ! Ça ne se fait pas de faire ce genre de chose. »

Je lui demande : « Vous vous êtes senti trompé ? »
Il répond : « Oui, c’est ça. »
Je poursuis : « Vous vouliez l’exclusivité. »
La séance s’arrête là.

 

2. Infidélité et tiers : une structure de répétition

Ce qui frappe ici, c’est la structure constante du scénario. Le patient semble revivre, à chaque fois, la même scène fondamentale : il occupe d’abord une place de confiance ou de proximité, puis un tiers — jamais extérieur, toujours familier — vient le remplacer dans le lien avec l’Autre.

  • Dans la vie conjugale : il est remplacé par un camarade, puis un salarié.

  • Dans la vie professionnelle : il est exclu d’un événement partagé par des collaborateurs qu’il considère comme proches.

  • Ce qui se répète, ce n’est pas seulement l’infidélité, mais une scène d’exclusion interne, où l’Autre se détourne de lui pour un autre déjà là.

Cette constance indique que le patient n’est pas simplement victime de circonstances ou de malchance. Il y a une mise en scène inconsciente, un noyau de jouissance, une structure de perte répétée.

 

3. Exclusivité et angoisse de substitution

Ce que le patient réclame, dans son discours comme dans ses attentes, c’est l’exclusivité. Il souhaite être l’interlocuteur unique, le partenaire stable, celui à qui l’Autre doit fidélité — affective ou professionnelle.

Mais cette demande d’exclusivité, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, ne vise pas tant un lien serein qu’elle suture une angoisse plus profonde : celle d’être toujours remplaçable. C’est une tentative de fixer le désir de l’Autre, de le maintenir dans une adresse stable et garantie — chose, bien sûr, impossible.

Dans la structure du fantasme, l’Autre est désirant, et le patient ne sait jamais ce qu’il est pour l’Autre. Cette opacité, cette béance, peut être insupportable. Et dans le cas du patient, elle prend la forme d’un fantasme où l’Autre préfère toujours un autre homme, plus séduisant, plus simple, plus disponible. Un Autre plus proche.

 

4. Le fantasme fondamental : "Je suis celui dont la place est toujours prise"

Le fantasme fondamental du patient pourrait se formuler ainsi :
« Je suis celui dont la place est toujours prise par un autre. »

Cette formulation va plus loin que l’idée générale d’“être trompé”. Ce n’est pas la trahison en elle-même qui fait traumatisme, mais le fait qu’un autre, déjà présent et plus désirable, soit désigné pour occuper sa place.

Ce fantasme soutient plusieurs dimensions de sa vie psychique :

  • la demande d’un amour exclusif, que ce soit dans le couple ou dans le travail ;

  • la difficulté à tolérer la présence d’un tiers, qu’il soit collaborateur, ami ou rival ;

  • la répétition d’une posture de victime évincée ;

  • l’impossibilité d’établir des liens sans enjeu d’amour ou de loyauté.

Pour le psy, l’enjeu est d’entendre et de repérer ce fantasme, afin qu’il puisse être mis en mots, déplié et déplacé par le travail de la parole. C’est ce mouvement qui ouvre la possibilité d’une autre manière d’exister, moins prisonnière de la répétition.

 

Conclusion

Le travail analytique ne vise pas seulement à apaiser une souffrance ponctuelle, mais à déplier la logique inconsciente qui se répète. C’est en traversant ce fantasme — celui d’être toujours remplacé — que le patient pourra commencer à construire un autre rapport à l’Autre, moins gouverné par la peur de perdre sa place.